Mohand Sidi Saïd (ex-Pfizer) : « On a fait un procès au Pr Raoult »

 Mohand Sidi Saïd (ex-Pfizer) : « On a fait un procès au Pr Raoult »

photos Madjid Aït Yahia

Entretien exclusif : Mohand Sidi Said, l’ancien vice-président franco-algérien du leader mondial pharmaceutique Pfizer revient sur les propos du Pr Raoult, la chloroquine, l’industrie pharmaceutique, la recherche & développement et le vaccin.  Un tour d’horizon sur notre système de santé avec celui qui est parti des montagnes du Djurdjura en Kabylie aux tours de Manhattan à New York, et a livré, dés 2016, un constat terrible sur le système français de santé publique dans son livre « Au secours. Notre santé est en péril »

Qu’avez vous pensé du débat autour de l’hydroxychloroquine, de son coté vénéneux alors qu’elle est prescrite depuis plus de 50 ans ?

Mohand Sidi Said : Je suis véritablement choqué ! C’est un sujet qui n’aurait jamais dû sortir de son confinement habituel, celui  de la recherche et du développement. Il y a un dérapage qui se fait au détriment du patient finalement. J’ai l’impression d’être à Cannes lors du festival. Toutes ces vedettes qui vont sur les chaînes de télévision, se contredisent les unes les autres et quelques fois elles-mêmes le même jour. La hiérarchie la plus élevée de la santé en France, celle des professeurs, est divisée et ravagée par des problèmes d’ego. Il y’a des morts nombreux qui s’entassent au grand désespoir des soignants  et des familles touchées par ce drame qui a pris tout le monde par surprise. Certains  acteurs de la santé ont manqué de décence.

Les autorités auraient du être plus claires sur la chloroquine à votre avis ?

Mohand Sidi Said : Au niveau de la politique, on a manqué de vision. Je suis au regret de constater  que le président qui est descendu dans l’arène, n’a pas pris de décision. On peut se demander s’il y a un pilote dans l’avion. Il faut savoir trancher. Le problème que cause la chloroquine est simple. Ou bien le professeur Raoult expose inutilement des Marseillais à des effets secondaires réels ou imaginés et à ce moment là, on lui dit d’arrêter. Ou bien, il n’y a pas d’autres thérapies et du coup, on continue son essai et on l’étend  aux régions les plus touchées  Toutefois, on renforce l’équipe en charge du suivi des patients. C’est simple, non ? On a fait un procès au professeur Raoult et on a voulu lui faire payer son audace et son côté téméraire, voire même sa tendance à vouloir prendre de l’avance sur les autres. J’ai du respect pour ce professeur des maladies infectieuses, connu au niveau mondial. La question est de choisir entre sauver des vies ou rester dans le confinement d’un protocole centenaire, même s’il a fait ses preuves. Chassez le naturel, il revient au galop. L’esprit bureaucratique a prévalu. Le Pr Raoult continue. Mais les patients d’autres régions, notamment les plus atteintes en sont privées. Quel paradoxe !

Il fallait  donc réagir et prendre de décisions.

Mohand Sidi Said : Quand on n’a pas de traitement, il faut bien essayer. Le Pr Raoult a donc pensé que le dérivé de  la chloroquine  en association avec un antibiotique, l’Azithromycine, pouvait être une thérapie. Alors, encadrons cet essai mais de grâce, prenons un peu de recul avec un protocole randomisé en double-aveugle, plutôt lourd et long, quand vous avez chaque journée des centaines de décès.

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A propos de la dichotomie entre nouvelles et anciennes molécules, avez vous l’impression,comme le Pr Raoult, que l’on n’a pas inventé grand chose depuis 20 ans ?

Mohand Sidi Said : J’espère que vous plaisantez ! J’ose me dire que Mr Raoult ne le pense pas !   N’allez surtout pas dire cela aux porteurs du VIH SIDA, aujourd’hui traités par la trithérapie ou encore à des personnes rescapées d’un cancer, même si cette pathologie n’est pas encore entièrement maîtrisée. La recherche et développement a fait de grands.pas en avant. La R&D a contribué de manière significative à l’augmentation de l’espérance de vie. Dans les 20 ans à venir, on peut raisonnablement penser que l’on pourra guérir de certains cancers aujourd’hui mortels. Et j’espère que l’on verra l’émergence de thérapies pour Alzheimer et les  trop nombreuses maladies  dites étrangement maladies rares. Les anciennes molécules sont accessibles et la plupart des recherches ont déjà été faites lors de leurs découvertes. De manière épisodique, si on va chercher dans le « pipeline » des anciennes molécules, pour les tester, tant mieux !  Cela  se pratique aujourd’hui avec l’extension d’indications, pour des molécules existantes. C’est à la portée de médecins et des chercheurs. Rien ne l’interdit mais méfions nous ! Sans recherche et de développement, on ferait un bond en arrière.

Le Pr Raoult a évoqué aussi une révision du droit des brevets. Faut il cesser cette course permanente à l’innovation ?

Mohand Sidi Said : J’ai une autre opinion. Certaines croyances et comportements changeront peut-être, à la lumière de cette expérience qui a nous a tous déboussolés. Je l’espère même si le propre des politiciens, est d’être dotés de mémoires courtes. L’économie de l’innovation et de l’Intelligence Artificielle sont les atouts de demain. Ma préoccupation, ce sont ces pathologies qui n’ont pas de médicaments. Certains  cancers tuent car sans  thérapies. On n’a pas encore de remèdes pour Alzheimer et beaucoup de maladies rares. Au contraire, il faut trouver des moyens d’incitations, quitte à étendre la durée  des brevets pour aider la recherche et développement (R&D) contre les fléaux qui n’ont pas de solutions pour le moment.

La R&D représente beaucoup dans le budget d’une entreprise pharmaceutique ?

Mohand Sidi Said : Personne ne conteste, y compris le Pr Raoult, que la R&D est un domaine coûteux, très long, hasardeux et entouré de risques. Il faut entre 10 et 15 ans pour avoir un résultat. Les cancers restent par exemple la 1ère cause de mortalité dans le monde. Il faut donc aller plus loin ! Il faut être conscient que l’allongement de l’espérance de vie impose que  l’on découvre  de nouveaux remèdes dans la neuroscience, par exemple pour que les gens vivent décemment leur vieillesse. Les laboratoires pharmaceutiques ne font pratiquement plus de R&D en antibiothérapie par exemple. La raison ? Pas de retour sur investissement à cause des prix. Il faut des partenariats pour y remédier. Un espoir de taille persiste tout de même : depuis quelques années nous observons l’émergence de petites entreprises de biotechnologie, agiles innovantes, moins dépensières et plus rapides dans la R&D.  Certaines d’entre elles produisent des miracles. Il faut les encourager car elles peuvent être la surprise de ce siècle, en matière de R&D !

Vous avez fait partie de l’industrie pharmaceutique, le fameux Big Pharma. Est ce un conglomérat sans cœur, sans foi ni loi ?

Mohand Sidi Said : Des forteresses, peut-être ! Comme le sont les GAFA, si souvent décriés, quelques fois à bon escient. Mais sachons raison garder ! Derrière l’industrie pharmaceutique, il y a des hommes et des femmes qui ont de l’empathie, de la résilience et sont soucieux de la responsabilité sociale de l’entreprise. Vous avez aussi certains qui n’ont pas cette conscience. Mais c’est un fait que l’industrie pharmaceutique est composée  aussi de commerçants et d’actionnaires. Si vous voulez pointer du doigt  tous ceux qui font du commerce, je vous souhaite bon courage mais je ne serais pas avec vous  !

L’industrie pharmaceutique est, sans doute, l’une de celles qui est le plus contrôlée avec l’armement. Et pourtant, on a laissé 80% des principes actifs (molécules qui soignent les patients, ndlr) partir en Asie. Comment peut on expliquer ce mouvement vieux de 10 ans ?

Mohand Sidi Said : C’est un phénomène qui remonte depuis le début des années quatre vingts. La mondialisation possède, à mon sens, des atouts et des inconvénients. Toute médaille a son revers. Il y a une désindustrialisation en Europe et c’est un fait. De nombreuses entreprises sont parties en Asie à cause de son développement économique, d’une clientèle très nombreuse avec un pouvoir d’achat qui a certes augmenté mais dont la main d’œuvre reste bon marché. Ajoutez à cela une taxation plus faible et paradoxalement moins de bureaucratie, moins d’entraves et vous comprendrez ce phénomène. En 2016, j’ai écrit un livre où je mettais en garde sur la désindustrialisation de la France et notamment dans le secteur du médicament. L’Europe a perdu nombre de ses usines de produits finis, de matériels et d’équipements médicaux et ne produit pratiquement plus de principes actifs. C’est dommage et inquiétant. Il faut des solutions à l’échelle de l’Europe, alliant le marchandage, la négociation et s’il le faut la menace. Ce serait de bonne guerre ! L’Europe a un argument de poids , qu’elle n’utilise pas. L’EMA (European Medical Agency, Agence Européenne du Médicament, ndlr) decide des authorisations de mise sur le marché mais n’a pas l’autorité pour discuter des prix et des lieux de fabrication. Pourquoi se priver du poids de 500 millions de patients potentiels ?

Pensez vous qu’il va y avoir une relocalisation dans le secteur ?

Mohand Sidi Said : J’espère que oui. Mais pas à l’échelle de la France seule. Nous sommes trop faibles. À l’échelle de l’Europe, c’est possible. Ce n’est pas une tare pour une entreprise de vouloir s’installer en Asie . Loin s’en faut mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment de son marché d’origine.

Que pensez vous de l’idée des Insoumis d’une agence publique du médicament ?

Mohand Sidi Said : C’est une proposition farfelue ! Demandez également au patron de la CGT ce qu’il en pense ? Il vous dira qu’il faut nationaliser toute l’économie et rajouter des fonctionnaires ! À la sortie de la crise sanitaire, la France sera encore plus faible que la moyenne européenne. Nous n’avons pas su réduire nos déficits, notre dette, notre taux de chômage comme l’ont fait l’Allemagne et d’autres des années auparavantIl faut des partenariats avec l’industrie du médicament. Il faut une réflexion sur ce qui est nécessaire  et possible en Europe.

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La recherche sur les maladies va pourtant plus vite que par le passé. Est ce que le temps n’est pas un facteur essentiel dans la gestion de la recherche ?

Mohand Sidi Said : Pour un vaccin ou un traitement en temps normal, il y a normalement des études pré cliniques, puis 3 phases qui se suivent. Et la dernière, la phase 3 destinée à compléter un dossier d’homologation est la plus longue et la plus coûteuse. En temps de crise, les règles sont parfois  faites pour être enfreintes !  Prenez les Américains ! Ils ne sont pas plus intelligents que nous  mais ils sont pragmatiques. Cela leur donne une longueur d’avance. La société Moderna Therapeutics qui fait des recherches sur le vaccin a négocié avec la FDA (Food and Drug Administration, ndlr) un protocole qui lui permet de  passer d’une phase à une autre, sans que l’étude précédente soit entièrement terminée. En outre , Moderna va injecter un fragment du code génétique du virus COVID -19 chez l’homme sans passer par la phase animale !   Il n’est pas exclu que l’on cherche pendant des années un vaccin, sans le trouver. L’exemple du VIH est éloquent ! Par contre, on a rarement vu depuis l’apparition de cette crise sanitaire, un tel déploiement de moyens, d’énergie et de volonté pour apporter une réponse à un monstre nommé COVID -19 et qui constitue aux yeux de tous un cataclysme mondial. Espérons !

Vous préconisiez dans votre livre « Au secours, notre santé est en péril » en 2016, un Grenelle de la Santé. Est ce la solution qu’il nous faut aujourd’hui ?

Mohand Sidi Said : Il faut tirer les conséquences de la crise que nous venons de vivre. C’est un fait que devant la crise sanitaire, les réactions ont été lentes et bureaucratiques. Notre jeune président s’est érigé en chef de guerre. C’est excessif à mon avis. Ce jeune chef d’Etat était sans logistique, pas assez de tests, de masques et de gels hydro alcooliques ! La France a résisté  à cette crise grâce au dévouement du secteur de la santé. Pourtant, « c’est l’arbre qui cache la forêt ». Il y a de la détresse chez ce personnel soignant, moins bien payé que leurs collègues allemands, surmené , stressé  et quelques fois insuffisamment considéré.  La dette des hôpitaux, des infrastructures obsolètes, une bureaucratie tatillonne et soucieuse de garder ses pouvoirs sont aussi des freins sérieux. On doit mettre à plat le système. Je continue à penser à un  Grenelle. Il faudra  aussi se poser la question  du rôle de l’OMS  et de ses retards intolérables dans  sa communication et le partage de l’information. Tout cela nécessite  une réflexion sérieuse.

Il faut plus de personnel de santé que de bureaucrates sur ces questions…

Mohand Sidi Said : Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. La France souffre du poids de la bureaucratie, de l’inertie. Ce n’est pas un phénomène lié au développement. Ces bureaucrates défendent bec et ongles leur pré carré. Il faut réexaminer tout ça et leur enlever un peu de leur pouvoir excessif et beaucoup de leur suffisance, voire d’arrogance !

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