« Je ne pensais pas un jour mettre en bâche des corps»
Meriem Mefrouche, 30 ans, est infirmière aux urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, dans l’un des départements où la surmortalité est des plus fulgurantes depuis le début de l’épidémie en France. Après avoir elle-même contracté le covid 19, elle est de retour au front après un bref arrêt.
En choisissant, il y a cinq ans, de rejoindre le service des urgences, Meriem Mefrouche se doutait qu’elle allait vivre des choses intenses. « On est plus ou moins formé pour recevoir et traiter des patients dans des conditions exceptionnelles (épidémies, catastrophes naturelles, attentats) mais on n’est jamais prêt à les vivre », reconnaît cette trentenaire.
Depuis le début de la crise sanitaire en France, son rythme de travail a été chamboulé. « Nous travaillons désormais 12 heures d’affilée en alternant des semaines de 24h et de 60 heures. Ces dernières sont évidemment usantes physiquement et psychologiquement. Les crises de larmes dans le service sont quasi quotidiennes ».
La pire chose que cette jeune infirmière ait vécue depuis le début de la crise ? « La mise en bâche des corps. En tant que soignant, on ne pensait pas devoir un jour accomplir ce geste. Notre métier nous a habitués à la mort, mais on fait en sorte de préserver la dignité de la personne et on permet aux proches de faire leurs adieux. Là, rien, aucune visite n’est autorisée. Javelliser la bâche avant d’y disposer le corps, remonter la fermeture éclair est la plus violente des sensations. Le corps est réduit à un déchet dans un sac poubelle ».
La plus grande peur de Meriem Mefrouche n’est plus d’être contaminée. Elle l’a été et s’en est sortie après une semaine d’arrêt et le retour au front avant même la disparition des symptômes. Sa plus grande angoisse, c’est l’inconnu. « On essaye de soigner une maladie qu’on connaît mal et beaucoup de vies y passent. C’est contraire à notre ADN de soignants. »
Si elle peut faire penser à la période qui a suivi les attentats, la situation actuelle n’est pas vraiment comparable. « Certes on était sorti de notre routine du fait de l’afflux massif et de la déstabilisation provoquée, mais au moins on savait gérer les polytraumatisés; mais là, on n’a pas de solution miracle ».
Et la disponibilité du matériel n’était pas non plus un problème alors qu’aujourd’hui la distribution des équipements de protection se fait au compte-goutte. « On nous donnes trois masques, une surblouse de piètre qualité et une charlotte pour toute la journée ». Heureusement, des dons de la population viennent compléter cet attirail. « On a reçu dernièrement des lunettes de ski qui nous permettent de nous sentir mieux protégés. On sera bientôt en rupture de surblouses, on cherche des solutions. Certains recourent aux sacs-poubelle. »
Ce qui lui permet de garder le moral ? « Entre collègues, les liens se sont resserrés, et puis il y a le soutien de la population. Cette reconnaissance aide à tenir. On ne peut pas nier que les applaudissements à 20h tous les soirs font chaud au cœur mais ce qui nous aiderait est d’avoir l’assurance que demain la population se battrait à nos côtés pour qu’on puisse soigner dans la dignité ».
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