« Il faut des tests et du matériel en priorité dans les Ehpad »

 « Il faut des tests et du matériel en priorité dans les Ehpad »

crédit photo : Cat & Cie


Il y a 2 ans, la journaliste d'investigation, Julie Pichot a bousculé le milieu médical avec son enquête, sur la gestion des Ehpad privés et sur le manque de matériel mis à la disposition des soignants. Ce soir, elle revient sur la crise que vivent les Ehpad publics et privés avec les familles de patients, les soignants, les directeurs d'établissements. Un reportage "Ehpad, tragédie à huis clos", à voir ce soir jeudi 9 avril à 21h05 dans Envoyé Spécial sur France 2.


Vous aviez mené une enquête sur les Ehpad privés. Qu'aviez-vous relevé il y a 2 ans ?


Julie Pichot : Nous nous étions interessés aux groupes privés qui gèrent les Ehpad en faisant payer très cher les familles (jusqu'à 10 000 euros). On a découvert qu'il y a des restrictions données au personnel. Les conditions d'accueil des résidents sont "horribles". On a aussi relevé le témoignage d'une aide soignante (Hella Kherief, ndlr) qui osait dire que le personnel est limité en nombre de couches par exemple, a peu de temps pour faire la toilette des résidents, etc… Par rapport à l'hôpital où la parole est plus libre, il faut savoir qu'en Ehpad, les personnels sont toujours tétanisés de parler, notamment dans le privé, de peur de perdre leur boulot.


En pleine crise du COVID-19, vous avez décidé de retourner dans ces Ehpad pour un reportage diffusé ce soir à 21h05 sur France 2, dans l'émission Envoyé Spécial. Vous êtes-vous interessés uniquement aux Ehpad privés ?


Non. Le reportage de ce soir est différent. Nous avons cherché à savoir comment cela se passe dans les Ehpad privés et publics. Nous avons souhaité percevoir la crise par le personnel soignant, les directeurs d'établissements et les familles de pensionnaires. L'élément constant dans le privé comme le public, est que les Ehpad sont dévastés et qu'il faut absolument les aider.


En quoi les Ehpad sont dévastés ?


Il n'y a pas de matériel, ni de tests. On ne teste pas les gens qui sont extrêmement vulnérables. De plus, ils sont dans un lieu confiné. Sans test, on ne peut savoir qui est malade. Si on le sait, le personnel peut au moins prendre des précautions supplémentaires (surblouses, lunettes, masques FFP2,..), même s'il est insufissant. La priorité doit être le test et le matériel pour les soignants, sinon le virus peut se propager à tout instant. On va voulu tirer la sonnette d'alarme en disant "Aidez-les et donnez-leur les moyens !" 


Comment vivent les familles cette situation et surtout le deuil ?


Il y a une violence pour ses familles qui ne peuvent pas avoir d'informations sur leurs proches, ni être présent. Par ailleurs, le deuil est aussi terrible car les soignants qui font habituellement la toilette mortuaire, ne peuvent pas agir, du fait du COVID-19. Ils les mettent dans des sacs avec le nom, la date de naissance et la date de décès. Les sacs passent aux pompes funèbres sans que les familles aient le droit de revoir leurs proches décédés. 


Y a t'il une surmortalité du fait du COVID-19 dans les maisons de retraites ?


Les derniers chiffres que l'on a, c'est que les Ehpad ont 31% des morts du Covid en France, soit 3237 morts ! Il faut aussi considérer les morts naturelles qui ne rentrent pas dans ces statistiques. Les personnes âgés et fragiles psychologiquement, vivent très mal la solitude. Il n'y a plus du tout d'activités. Les personnes sont dans leurs chambres et ne peuvent pas en bouger. Il y a des pertes d'appétit. Elles peuvent aussi observer des compagnons de route qui décèdent et l'absence des familles pèsent sur le moral de résidents qui se laissent aller.


Que doivent faire les pouvoirs publics concernant les Ehpad ?


Il faut des moyens. C'est même étonnant que cela n'ait pas été pris en compte avant. On a beaucoup focalisé sur l'hôpital à juste titre mais on a oublié les Ehpad. Il faut des tests en premier lieu. Olivier Véran a annoncé lundi une grande opération de dépistage pour les résidents et personnel. Dans un Ehpad des Vosges, où l'on a tourné, on m'a confirmé que les résidents n'étaient toujours pas testés aujourd'hui. Ensuite, il faut des renforts car il y a beaucoup de personnel en arrêt maladie et qui ne sont pas remplacés. Pour décontaminer une chambre d'un patient atteint du COVID-19, il faut le faire 2 fois, soit 5 heures. Ni l'ASH, l'aide soignante ou l'infirmière n'ont ce temps là pour le faire !


L'enquête d'envoyé spécial à 21h05 sur France 2 : Ehpad, Tragédie à huis clos, un reportage de Julie Pichot, Xavier Deleu et Vincent Liger avec Cat & Cie


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