Samira Brahmia : une voix libre et sans frontières

 Samira Brahmia : une voix libre et sans frontières

Samira Brahmia, en concert au New Morning à Paris le 12 février 2025. Photo : DR

Le 12 février 2025, Samira Brahmia enflammera la scène du New Morning à Paris avec Pink Casbah, son nouvel album. Un disque qui lui ressemble : vibrant, audacieux, affranchi des étiquettes. « Je me bats pour que la musique de la diversité trouve sa place et arrête d’être présentée de manière folklorique », clame-t-elle avec passion.

Née en 1975 à Besançon, Samira Brahmia est l’aînée de trois enfants. À deux ans, sa famille quitte la France pour s’installer à Chlef, en Algérie, une commune de 300 000 habitants à mi-chemin entre Alger et Oran. Son enfance est bercée par la découverte de la musique. À 11 ans, elle rejoint une association dirigée par un abbé passionné de solfège. « Il donnait des cours bénévolement, mais il a fini par partir à cause du terrorisme », raconte-t-elle.

Son père, convaincu de l’importance de la culture, investit dans un piano Yamaha, acheté dans un supermarché local – un instrument que la famille conserve encore aujourd’hui. À 12 ans, elle compose sa première partition et chante lors du Mouloud, le « Noël musulman ». « J’ai oublié les paroles… la honte de ma vie ! », s’amuse-t-elle en y repensant.

Brillante élève, elle décroche un 17,5 au bac maths et intègre l’École polytechnique d’Alger. Elle partage alors un appartement avec vue sur la baie avec l’une de ses sœurs. Mais l’expérience tourne court. « Moi, la provinciale, je n’avais jamais pris l’autobus toute seule. J’ai reçu une claque en arrivant à Alger, on était en pleine décennie noire », confie-t-elle. Plus que les études, c’est la rue qui capte son attention.

En 1991, l’Algérie bascule dans la violence après l’annulation des élections législatives remportées par le Front islamique du salut. Le pays sombre dans une guerre civile qui fera plus de 150 000 victimes. « On se retrouvait à plat ventre dans les cafés en entendant les tirs », se souvient-elle. Mais paradoxalement, ce ne sont pas les hommes armés qui la menacent le plus. « À chaque fois que j’étais inquiétée, c’était par des filles, les gardiennes du temple qui trouvaient ma façon de vivre inappropriée. »

À 23 ans, en quête d’un chemin, elle met ses études de côté. Son père, encore lui, lui offre des cours de guitare au conservatoire d’Alger. Elle rejoint alors Index, un groupe très en vue à l’époque. Mais c’est en 2001 que tout change. Venue passer un casting pour L’Autre Monde de Merzak Allouache, elle interprète une de ses compositions. Sur le tournage, elle croise les musiciens de Gnawa Diffusion, qui l’invitent à assurer leur première partie. « Là, j’ai compris que ma place était sur scène », raconte-t-elle avec fierté.

En 2002, elle débarque à Crest, dans la Drôme, pour un festival… et ne repart plus. « J’ai été tellement bien accueillie et j’ai compris que j’allais pouvoir m’épanouir en France dans mon art », explique-t-elle.

Son double passeport, français et algérien, lui offre cette liberté. « J’ai appelé mon père, je lui ai dit : ‘Je reste.’ Il m’a répondu : ‘OK.’ » Paris devient son terrain de jeu, entre galères et rencontres artistiques. Elle s’installe dans le 14ᵉ arrondissement et fréquente L’Usine, un repaire de musiciens algériens. C’est là qu’elle croise son futur mari, à Drancy, en première partie de la diva algérienne Chérifa. « Coup de foudre ! Six mois plus tard, on était marié. »

Son premier album, Naïliya, sort en 2006, un cocktail de sonorités mêlant arabe, français et anglais. Les tournées s’enchaînent, avec des moments forts comme les Jeux olympiques de Londres en 2012, l’album Méditerranéennes avec Julie Zenatti et sa participation à The Voice en France. « J’ai chanté en kabyle, en arabe et en anglais. Une occasion de revendiquer mon identité plurielle et d’ouvrir mon art à d’autres horizons. » Surtout, le public découvre sa voix, puissante et imposante, comme un grondement de terre.

De 2006 à 2018, elle porte des projets collectifs comme Les Folles Nuits Berbères et Barbès Café au Cabaret Sauvage, tout en élevant son fils. Malgré des moments inoubliables, elle arrête ces spectacles. « J’avais besoin de voler de mes propres ailes et de retrouver la scène en tant que Samira Brahmia. »

Entourée de musiciens chevronnés, elle imagine alors Pink Casbah, un savant mélange d’afrobeat, rock, folk, raï et arabo-andalou. « Je refuse d’entrer dans une case. Mon album est un hommage à mon africanité », clame-t-elle fièrement.

Samira Brahmia n’est pas qu’une artiste. Engagée pour l’accès à la culture et les droits des femmes, elle milite pour que toutes puissent profiter de la musique. « Nos mamans doivent aller en concert ! », insiste-t-elle. À Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne, elle participe à un projet musical avec des femmes apprenant le français, en écrivant des chansons sur… la cuisine. « On a chanté sur la tarte Tatin et le pain d’arloum. Parce que la culture, c’est aussi le partage », souligne avec malice la chanteuse.

Le 12 février, sa voix envoûtera le New Morning. Libre, puissante, empreinte de métissage, elle franchit les frontières et tisse des liens entre les mondes. Mais elle porte aussi une inquiétude : celle du chemin que prend la France. « Je crois que la musique et l’art peuvent aider les peuples à mieux se comprendre », affirme avec détermination Samira Brahmia.