S.E. Rahman Mustafayev : « L’Azerbaïdjan respecte le droit international »
Le 27 septembre dernier, les violences entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont atteint une rare violence qui a duré 15 jours avant le fragile cessez-le-feu obtenu par Moscou. L’ambassadeur d’Azerbaïdjan à Paris, Son excellence Rahman Mustafayev revient sur le conflit armé au Haut Karabakh, le risque de guerre avec l’Arménie et les relations diplomatiques internationales de son pays.
Le cessez-le-feu fragile est en vigueur depuis samedi, bien que l’Azerbaïdjan comme l’Arménie s’accusent mutuellement de sa rupture. La médiation russe n’a pas suffi ?
S.E. Rahman Mustafayev : Moscou a beaucoup travaillé dans le sens de la paix, tout comme les autres co-présidents du Groupe de Minsk (France et Etats-Unis). A peine signé à Moscou, ce cessez-le-feu a été interrompu par l’Arménie avec des bombardements sur la ville de Gandja qui ont fait 9 morts et de nombreux blessés. Il s’agit de missiles de longue portée. L’Arménie a non seulement rompu le cessez-le-feu mais ne respecte pas non plus les conventions de Genève qui interdit l’utilisation de telles armes sur des zones résidentielles. Nous invitons les responsables russes, français et américains de condamner de tels actes.
Faut il craindre une reprise des confrontations ?
S.E. Rahman Mustafayev : Les affrontements n’ont pas cessé car l’armée arménienne essaie de reprendre le contrôle sur les villages libérés par l’Azerbaïdjan. Les dirigeants arméniens tentent de montrer qu’ils ont gagné quelque chose. Cela explique cette violence et une réaction disproportionnée contre les civils azerbaïdjanais. Toutefois, la situation évolue vers le calme quand même.
L’Azerbaïdjan cherche la paix…
S.E. Rahman Mustafayev : Il y a deux chemins pour la solution de ce conflit. Le premier est celui du dialogue. Nous y sommes toujours prédisposés. Nous avons donné ses chances au groupe de Minsk depuis 1992. Malheureusement, il n’a pas réussi à avoir des résultats satisfaisants. Nous sommes d’accord avec cette composition et soutenons les efforts du groupe mais les coprésidents (France, Russie, Etats-Unis) doivent montrer une position équilibrée en faveur de la paix. La deuxième voie est ce qui s’est passé ces 14 derniers jours. L’article 51 de la charte des Nations Unies indique qu’un pays attaqué par un pays tiers a le droit d’utiliser la légitime défense. Quelque soit la situation, nous sommes pour le respect du droit international. L’Azerbaïdjan ne fait que s’appuyer sur les 4 résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies, votées en 1993 qui stipulent que la paix entre les deux pays passe obligatoirement par le retrait immédiat, complet et sans conditions de toutes les troupes arméniennes des zones occupées de l’Azerbaïdjan. Nous devons défendre non seulement notre territoire mais aussi nos citoyens.
On parle de négociations substantielles pour arriver à un règlement pacifique. Par quoi doivent passer ces négociations : le retrait des forces armées, un référendum, ou la présence d’une force internationale ?
S.E. Rahman Mustafayev : L’accord de Moscou indique qu’il faut continuer les pourparlers sur les principes de base notamment le retrait sans conditions des forces arméniennes des zones occupées et le retour des minorités expulsées de cette région. Avant le conflit en 1991, il y avait 170 000 habitants dans le Haut Karabakh parmi lesquels 60% d’arméniens, 26% d’azerbaïdjanais, et le reste de russes, de kurdes et de juifs. Les séparatistes ont chassé toutes les minorités. Cela contredit la logique de droit international. Aujourd’hui, on ne parle plus de séparatistes. C’est clair pour tout le monde qu’il y a deux protagonistes, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les séparatistes n’ont donc plus leurs places autour d’une table. Bien sûr, dans les principes de base, nous prévoyons la présence de forces internationales pour garantir la paix. Je ne sais pas quelle en sera la composition. Pour l’instant, il est encore trop tôt pour en parler.
L’Azerbaïdjan est précurseur au niveau économique dans la région avec une croissance à deux chiffres, tirée vers le haut par l’économie pétrolière. Le pays va-t-il continuer sur cette voie ou cherche-t-il de nouvelles ressources ?
S.E. Rahman Mustafayev : Tout d’abord, notre coopération avec la France est très forte. L’Azerbaïdjan est le partenaire numéro 1 pour la France dans cette région. Toutes les grandes sociétés françaises sont basées dans notre pays. Nous avons réussi à faire croître notre partenariat économique et commercial à très haut niveau avec un développement axé sur notre économie nationale mais aussi régionale avec les pays de la région (pays de la Mer Caspienne, Géorgie, Turquie, Grèce). La route ferroviaire allant des pays baltes aux pays du Moyen-Orient mais aussi la route de la soie qui connecte la Chine avec l’Asie centrale, le Caucase et l’Europe sont autant de projets qui montrent que la construction du pays est en marche. Nous sommes un pays qui ne cherche pas la destruction. Notre projet, c’est l’emploi, les opportunités. Nous avons aussi cherché à nous diversifier. Ce n’est plus seulement le pétrole et le gaz qui sont les leviers de l’essor économique : 60% du PIB provient du secteur non pétrolier. Il s’agit des services, de l’agriculture, de la logistique, du tourisme. Nous sommes un leader régional qui donne une impulsion forte pour le progrès des autres pays.
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Le Maroc a soutenu l’Azerbaïdjan en ce qui concerne le Haut Karabakh. Comment avez vous perçu cette prise de position ?
S.E. Rahman Mustafayev : Le peuple azerbaïdjanais a beaucoup apprécié cette position forte, claire et de principe. La position du Maroc se base sur le droit international. Beaucoup de pays du monde nous ont soutenu. L’Azerbaïdjan préside le mouvement des pays non-alignés qui a soutenu notre position d’intégrité et de souveraineté. Je voudrais donc remercier les dirigeants du Royaume du Maroc pour cette position. C’est très important pour nous car cela prouve que tout le monde comprend bien ce qui se passe dans notre région.
Dans le même sens, l’Azerbaïdjan a soutenu en 2018 l’intégrité territoriale marocaine sur le Sahara. Faut il comprendre par là que les deux pays partagent la même opinion sur le séparatisme ?
S.E. Rahman Mustafayev : Nous sommes toujours contre le séparatisme. Nos deux pays partagent les mêmes valeurs qui sont fondées sur le droit international, la coopération, l’unité nationale, la souveraineté et l’inviolabilité des frontières internationalement reconnues.
L’Azerbaïdjan est indépendant depuis presque 30 ans. Comment a évolué votre position géopolitique et diplomatique ?
S.E. Rahman Mustafayev : Notre vision pour les relations internationales et pour la sécurité régionale est très claire. Notre pays a une position importante dans la région puisqu’il est entouré par ces trois acteurs importants que sont la Russie, l’Iran et la Turquie. Ces 3 pays ont des relations compliquées avec l’Union Européenne. Pour notre part, nous sommes en train de finaliser un partenariat stratégique avec l’Union Européenne avec l’ambition affichée de jouer le rôle de plateforme de dialogue, de stabilité et de coopération régionale. Pour un projet gazier en lien avec l’UE, nous avons pris en charge un quart des 40 milliards d’investissements. Nous sommes aussi un partenaire fort de l’OTAN. Nos liens sont aussi puissants avec l’Inde, le Pakistan, les pays du Moyen-Orient et Israël. Nous jouons un rôle de connecteur. Notre vision est celle de la coopération, du dialogue et de la sécurité. C’est en notre faveur de promouvoir la stabilité et la paix. Nous avons hâte d’en finir avec cette guerre et de trouver des solutions diplomatiques dans le cadre du droit international. Cela reflète bien notre philosophie.
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