Rugby. La Coupe du monde ne fait pas kiffer les cités

 Rugby. La Coupe du monde ne fait pas kiffer les cités

L’équipe de France pendant l’hymne national de la Coupe du monde de rugby 2023, le 14 septembre 2023, au Stade Pierre Mauroy, à Villeneuve d’Ascq, France. MILLEREAU Philippe / KMSP / KMSP via AFP

Alors que la Coupe du monde de rugby bat son plein en France, force est de constater que malgré l’optimisme qui régnait avant le début de la compétition, la sauce ne prend toujours pas dans les quartiers populaires. Dans leur majorité, les habitants des cités ne suivent pas le Mondial de Rugby, même quand l’équipe de France joue.

 

Le triomphe était pourtant de mise quelques jours avant l’évènement, quand Florian Grill, le président de la Fédération française déclarait que le rugby pouvait être « un vrai vecteur de transformation sociétale des quartiers ». Depuis quelques mois, les initiations au sport ovale dans les cités se multiplient. « Il y a, en France, 270 clubs qui agissent dans les quartiers prioritaires de la ville. Notre objectif est de monter à 400 clubs », ajoutait fièrement Florian Grill.

Dans certains clubs, comme celui de Pantin en Seine-Saint-Denis, le nombre de licenciés a été effectivement multiplié par six, passant de 50 à 300. De nombreux clubs de banlieue parisienne comme Bobigny (Seine-Saint-Denis) ou Massy (Essonne) sont également de gros pourvoyeurs de joueurs professionnels. Des progrès évidents mais qui cachent une dure réalité : le rugby n’attire pas ou très peu les gamins des quartiers populaires qui se rêvent plus en Kylian Mbappé qu’en Antoine Dupont, la star du rugby français.

Ce 8 septembre au Stade de France (SDF) à Saint-Denis, pour le match d’ouverture, l’équipe de France affronte les All Blacks. Aux abords du stade, les supporters des deux équipes investissent les bars, chantent, bières à la main, sous les regards indifférents des locaux.

« C’est qui qui joue ce soir ? », demande interloqué Mourad, 25 ans, habitant de la cité Joliot Curie à Saint-Denis. Va-t-il regarder le match ? « Non, ça ne m’intéresse pas. Je ne comprends rien aux règles. Ce sport, ce n’est pas ma culture », tacle Abdel. Son ami Fouad, Dyonisien lui aussi, de deux ans son cadet, est encore plus dur: « Même si vous me donnez des places gratuites, je n’irai pas voir le match ». 

A l’intérieur du stade, difficile en effet de trouver un public de toutes les « couleurs » que l’on retrouve chaque week-end dans les stades de football. Ce 8 septembre au SDF, il y a bien ces enfants du club de rugby de Saint-Denis tout sourire d’être là ce soir, invités par la fédération française, accompagnés de leurs éducateurs sportifs, mais à part eux, les supporters sont « monochromes ». Et peu importe les stades, de Nice à Villeneuve d’Ascq en passant par Marseille ou Lyon, le constat est le même.

Autre décor. Six jours plus tard, l’équipe de France joue face à l’Uruguay au stade de Villeneuve d’Ascq. Ali, acteur associatif à Roubaix, banlieue populaire de Lille, amoureux du sport, n’est pas allé soutenir les Bleus et n’a pas non plus regardé le match à la télé.

« Il y a un club de rugby à Roubaix, raconte Ali mais, comme pour le tennis, les dirigeants font venir des gens de l’extérieur de la ville. Nos gamins des quartiers ne sont pas intéressés par ce sport « , regrette le militant.

Quand les Bleus ont battu la Nouvelle-Zélande en match d’ouverture ou l’Uruguay le 14 septembre, il ne s’est rien passé à Roubaix, affirme Ali. « Je n’ai rien vu. Pas de ferveur. C’est incomparable avec ce qu’il peut se passer ici avec le football. Le rugby n’est pas un sport pratiqué dans les quartiers populaires, rappelle l’acteur associatif. J’en ai un peu marre d’entendre le contraire. Ici, à Roubaix, comme ailleurs, le football est le sport roi, après les arts martiaux, la boxe et surtout le MMA, continue ce dernier. Avant, il y avait l’athlétisme qui fonctionnait un peu, même la gymnastique avait un peu la côte, mais tout ça c’est fini à cause de tous ces gouvernements qui ont flingué la vie associative », dénonce, écœuré, Ali.

Hamza, président d’un club de futsal au Petit Bard à Montpellier n’a également rien vu dans son quartier après la victoire des Bleus face aux All Blacks. « Personne ne regarde les matchs à la télé, personne ne parle de cette Coupe du monde ici. J’ai lu qu’il y avait des initiatives pour inculquer la culture rugby dans les quartiers, mais ils ne sont pas venus à Montpellier », insiste-t-il.

« C’est pas parce qu’il y a quelques joueurs qui viennent des cités dans l’équipe de France de rugby que nos jeunes vont adhérer à ce sport, prévient Hamza. Ils ont encore du mal à s’identifier à eux. T’as déjà vu quelqu’un dans un quartier populaire jouer avec ses copains au rugby ? Dans des villages oui mais pas dans nos grandes villes », précise encore cet éducateur chevronné.

Hamza trouve néanmoins dommage que les jeunes des quartiers populaires ne s’intéressent pas plus au rugby. « Je suis pour la curiosité, je suis pour qu’ils s’ouvrent à d’autres sports. Je suis pour tout ce qui leur ouvre le champ des possibles« , soutient-il.

Même son de cloche à Nice-Nord. « J’aime pas la culture rugby. Le foot c’est le partage, le rugby c’est des racistes », est persuadé Mathis, oubliant que de plus en plus de joueurs issus de l’immigration s’essaient au sport ovale.

Eric Marlière, sociologue, auteur de nombreux ouvrages sur la jeunesse des quartiers populaires, ne croit pas non plus à l’éclosion du rugby dans les banlieues françaises. « Né en Angleterre dans une université, le rugby est historiquement un sport d’élite réservé à la bourgeoisie. Il est aujourd’hui pratiqué par des enfants de classe moyenne, dans des milieux mieux dotés en capital économique et en capital culturel, rappelle ce dernier. Ce n’est pas un sport mondial, planétaire, comme peut l’être le football. Il n’y a pas tous les pays qui jouent au rugby. En France, il n’y a que dans certaines régions que le sport ovale est pratiqué », insiste Éric Marlière.

La France devrait jouer son quart de finale le 15 octobre, au Stade de France, probablement face à l’Afrique du Sud. Une qualification des Bleus en demi-finale pourrait alors changer la donne et susciter l’intérêt dans les quartiers populaires. « Si la France est en finale de la Coupe du monde, je pense que je regarderai le match », avoue Mourad, habitant d’un quartier populaire du 19e arrondissement de Paris. « Mais ça serait plus pour le côté historique, continue le jeune homme. Si elle gagne la Coupe, je n’irai pas sur les Champs-Elysées pour célébrer », promet Mourad.

« Je ne crois pas qu’une Coupe du monde organisée en France ou qu’une victoire des Bleus change la donne dans les quartiers populaires », soutient de son côté Hamza. « Vous savez pourquoi ? », interroge l’éducateur de Montpellier. « Parce qu’au rugby, contrairement au football, tout le monde ne peut pas jouer contre tout le monde ».