Réveillon 2023 : quand la communication présidentielle avoue ses limites

 Réveillon 2023 : quand la communication présidentielle avoue ses limites

Il est 21h00 lorsque le président de la République Kais Saïed prend la parole samedi soir, la nuit du réveillon, pour faire part de ses vœux à l’adresse du peuple tunisien. Le ton calme et une fois n’est pas coutume sans violentes piques en direction de ses adversaires politiques, on se dit alors qu’il a peut-être enfin écouté les voix qui l’appellent à l’apaisement. Il n’en est rien : la trêve n’est en réalité que de courte durée.  

 

Le chef de l’Etat a même affirmé qu’il y a « suffisamment de place pour tous en Tunisie », un effort d’autant plus notable que l’on sait l’homme réticent à l’exercice des vœux du calendrier administratif, un rendez-vous qu’il a plusieurs fois zappé. « De là à esquisser un sourire, il ne faudrait pas non plus trop lui en demander ! », ironise un internaute. Fait rare également, Saïed se contente de 5 minutes. Mais à minuit, la communication présidentielle retombe méthodiquement dans tous ses travers habituels, l’un après l’autre.

 

La visite inopinée, un marronnier archaïque

La propension à la redondance de cette façon de communiquer est si caricaturale que l’on pourrait en dresser une check list, sorte de zone de confort en dehors de laquelle le Palais de Carthage ne sait pas communiquer. Il s’agit de réutiliser à souhait l’image du président proche de son peuple, en surface, sans s’atteler au fond des problèmes.

Pour schématiser, cela comprend le mini bain de foule, la prise d’un café dans la cafétéria du coin (clin d’œil à la campagne électorale de Saïed qui selon la légende n’a coûté que quelques expresso et quelques cigarettes), prendre un enfant dans les bras face caméra, des propos en vrac échangés avec les concitoyens, et souvent le jeu de mot calembour du jour, en l’occurrence El Intilaka, nom du quartier visité. « C’est précisément pour cela que je suis venu visiter ce quartier », lâche Kais Saïed, le terme Intilaka signifiant nouveau démarrage.

Le tour est joué, pense-t-on sans doute dans la cellule de montage du Palais, voilà qui apaisera les polémiques jusqu’à la prochaine réitération.

Invariablement, cette structure rigide des sorties présidentielles en milieu urbain populaire se répète tel un jour sans fin, depuis que Saïed a été investi de ses fonctions fin 2019. La sortie de samedi à dimanche coche toutes ces cases. Or, pour qui connaît le contexte national tunisien fait de pénuries alimentaires, faire irruption dans la cafète puis l’épicier du coin, probablement présélectionnés, avait un objectif en lien avec une autre rengaine présidentielle : montrer qu’il y a bien du café et de l’huile végétale subventionnée en stock.

Cela fait des mois en effet que ces pénuries et d’autres perdurent, dans le déni présidentiel et gouvernemental le plus total. Pourtant, leurs causes sont connues, régulièrement explicitées par des économistes et de simples observateurs de l’actualité : le cercle vicieux de la raréfaction du cheptel tunisien (un tiers a été vendu à l’étranger), la non solvabilité de l’Etat tunisien s’agissant de certains achats de produits qui restent bloqués dans les ports ou rebroussent chemin, et une dynamique attisée par une hausse de la demande qui créé à son tour de la petite spéculation épisodique ça et là.

Mais obstiné et complotiste à outrance, le logiciel présidentiel ne conçoit que de la spéculation et de la corruption à vaste échelle, quand il ne verse pas dans la dénégation et le déni purs et simples. Il contribue en cela à creuser davantage la crise, puisqu’un mauvais diagnostic conduit à un traitement erroné. En somme, si ce mode de gouvernance populiste rejette l’idée de la complexité, c’est aussi qu’il a besoin de désigner des coupables candidats faciles à l’opprobre et la répression.

Cet entêtement, tout comme la dernière réunion de crise sécuritaire à Carthage négligeant le volet socio-économique, ont fini par isoler Kais Saïed au point que l’année 2023 est résolument celle de l’après-Saïed pour l’opposition. Sauf que cette fois, on sent bien qu’embrasser un enfant face aux projecteurs ou prendre une gorgée de café risquent de ne pas suffire pour désamorcer l’imbroglio politique et institutionnel du pays.

 

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