Réunion à la Kasbah : La présence d’instagrameuses divise

 Réunion à la Kasbah : La présence d’instagrameuses divise

17 jeunes étaient conviés à la table ronde gouvernementale

Doit-on toutes mobiliser toutes les forces vives dans l’effort national de redressement économique post-covid, y compris les « instagrameuses » et autres « influenceurs » des réseaux sociaux ? La clarification, dimanche, de l’objet d’une réunion au sommet de l’Etat n’a pas suffi à calmer les esprits ni le débat autour de la question des faiseurs d’opinion. Décryptage.

 

 

Deux stars locales du réseau social Instagram ont été les premières à ébruiter l’évènement dès vendredi soir, en publiant deux photos du décor de la réunion en question au siège du gouvernement à la Kasbah. Elles s’appellent Raya Bouallegue alias Pink trip, et Balkis Ksouri alias Beki’s World, et totalisent respectivement 660 mille et 1,2 million d’abonnés, ce qui les place théoriquement dans le top 5 des profils les plus consultés dans le pays.

La vingtaine à peine, « Beki » compte un demi-million d’abonnés sur Youtube

 

Le teasing des photos de ces profils à la présence inhabituelle dans l’enceinte solennelle du Palais gouvernement attise aussitôt l’étonnement et les spéculations des masses. Si certains s’irritent que leurs diplômes et leurs qualifications n’ont jamais permis de les conduire à de telles rencontres high-profile, d’autres tempèrent en avançant qu’il s’agit probablement d’une volonté de la part du gouvernement Fakhfakh d’ouvrir la promotion de la destination Tunisie à des profils hors des sentiers battus.

« Ces deux photos font l’objet de tant de haine et provoquent une flopée de questionnements satiriques […]. Que ce soit bien clair, 17 jeunes de divers horizons ont été invités à une table ronde de 4 heures pour parler de leurs préoccupations, cela inclue ces deux créatrices de contenu. Où est le problème, surtout aujourd’hui où les médias sociaux font partie intégrante de nos vies et que toutes les professions utilisent ces plateformes comme moyen de communication ? Le problème c’est vous-même si vous êtes dans le déni de cette réalité en 2020 », a réagi Marwa Ben Hassine, une professionnelle de l’évènementiel.

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Un communiqué fleuve et fourre-tout

Visiblement sous pression, le gouvernement publie un communiqué tardif, deux jours plus tard, en précisant dimanche : « Le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, s’est réuni dans la soirée du 5 juin avec des représentants des organisations de jeunesses de la société civile et des jeunes actifs dans divers domaines (l’administration, la médecine, l’ingénierie, développement d’applications, jeux vidéo et blogs sur les réseaux sociaux). La rencontre visait à écouter et à interagir avec les propositions des jeunes, en particulier leur vision de la Tunisie post-révolutionnaire. Ce fut l’occasion d’échanger les idées et les opinions pour voir comment bénéficier de leurs énergies et les solutions qu’ils proposent aux problèmes brûlants des jeunes, tels que l’abandon scolaire précoce et l’adaptation entre le marché du travail et la formation que ces jeunes reçoivent », peut-on lire dans ce texte qui souligne l’urgence du contexte post Covid-19 ayant précipité la rencontre.

« Un communiqué qui ne dit absolument rien », selon la juriste Rim Ben Hassen, qui déplore le manque de transparence des organisateurs qui a donné lieu à une « confusion inutile » : « Je vous invite, je ne parle pas de vous, mais j’attends de vous que vous parliez de moi ! », ironise-t-elle.

Plus sévère, l’activiste Samia Khsiba s’idigne :

« Les instagrameuses, les influenceuses surtout celles dont la vie tourne autour de « bonjour mes chéries, une nouvelle robe, un nouveau rouge à lèvres », créatrices de contenu sans contenu, ces mauvaises influences (à mon avis bien sûr) qui renvoient généralement une image de la vie parfaite, d’une « réalité » embellie voire falsifiée, deviennent, malheureusement, un modèle pour les jeunes. Ces derniers qui souffrent de plus en plus de l’injonction de la perfection des réseaux sociaux affectant le développement de leur amour-propre et qui participent à des courses de likes et de followers. Des influenceuses qui incitent à une consommation aveugle et inconsciente, et parfois à l’argent facile, grand bien leur fasse, c’est leur choix ce sont leurs vies mais le fait qu’elles / qu’ils soient invité(e)s par Elyes Fakhfekh pour discuter des problèmes des jeunes est révoltant ! ».

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D’autres encore notent que ce précédent inédit constitue en soi une reconnaissance, voire une réhabilitation, de cette catégorie nouvelle de profils avec lesquels il faut désormais composer.

Selon les experts, Instagram serait cependant moins strict et regardant que Facebook, dont il est pourtant l’une des filiales depuis 2012, quant au recours par de nombreux utilisateurs au gonflage frauduleux de leurs statistiques d’audience, via des applications dédiées. L’un des moyens d’en avoir le cœur net est le ratio de likes proportionnellement au nombre d’abonnés.

Quoi qu’il en soit, lorsque John Fitzgerald Kennedy déclamait « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays », il ne s’imaginait sans doute pas que patriote rimerait un jour avec tuto make-up, voyages et restos.