Restaurant Majouja : l’art de marier tradition et modernité algérienne
Il est midi trente, un mardi ordinaire, mais devant Majouja, au 43 rue Laffitte dans le 9e arrondissement de Paris, la file d’attente s’étire déjà bien au-delà du trottoir. La foule, patiente et joyeuse, serpente sous les regards curieux des passants. Aucun signe d’impatience : ici, l’attente fait partie de l’expérience. À travers les grandes vitrines, des éclats de rire et le tintement des couverts promettent un repas mémorable. Cette petite cantine au cœur de Paris ne sert pas que des plats, elle raconte une histoire — celle de Katia Barek et Nora Sadki, deux femmes unies par leur amour des saveurs authentiques et par une résilience à toute épreuve.
Derrière le succès de Majouja, il y a d’abord un destin hors du commun. Nora Sadki, originaire de Romainville (93), n’avait jamais cherché les projecteurs. Derrière un stand modeste où elle préparait des galettes kabyles, elle fut découverte par Florian OnAir, un créateur de contenu spécialisé en gastronomie, dont la vidéo mettant en lumière le talent de Nora a ému des milliers de spectateurs.
Mais le parcours de Nora a aussi été marqué par la tragédie. La perte brutale de son fils dans un accident de moto a failli tout briser. « Cette douleur, je ne pouvais pas la laisser me détruire », confie-t-elle. Quelques mois plus tard, elle cuisinait les boulettes kabyles préférées de son fils devant la caméra. Un moment de cuisine devenu un acte d’amour et de mémoire, salué par des millions de vues.
C’est cette force créative qui a touché Katia Barek, ancienne responsable de communication en quête d’une connexion avec ses racines algériennes. « Quand j’ai goûté la cuisine de Nora, j’ai su que c’était elle », se souvient-elle. De leur rencontre est né Majouja, une cantine à la croisée des chemins entre tradition et modernité.
« J’aime dire que la colonne vertébrale de notre cuisine est kabyle, et que le corps est algérien », résume Katia. Chez Majouja, le couscous, le hmiss ou les makrouts se parent d’une touche contemporaine. Mais le nom lui-même est un hommage personnel. « Majouja, c’était le surnom de ma mère, Khedoudja. Il n’y avait pas d’autre choix possible. »
En septembre 2024, les deux fondatrices de Majouja ajoutent un chapitre à leur histoire culinaire avec la publication de La cuisine algérienne tradi-trendy. Ce livre, riche de 80 recettes, est une plongée gourmande dans leur univers.
Le livre présente, au-delà des recettes, des contributions de personnalités telles que le réalisateur Mourad Achour, l’historienne Naïma Yahi, le comédien Bun Hay Mean, ainsi que DJ Snake, sans oublier des anonymes, clients de la première heure du Majouja.
« On voulait montrer la richesse et l’équilibre de la cuisine algérienne », explique Katia. Plus qu’un recueil de plats, l’ouvrage est aussi une ode à la mémoire. « Chaque odeur me ramène à mon enfance », dit-elle, espérant transmettre un patrimoine culinaire et familial.
Ici, chaque plat raconte une histoire. « La cuisine réveille des souvenirs enfouis », dit Nora avec douceur. « Je me souviens qu’un jour, un client a pleuré en goûtant le tikourbabine, une boule d’émotion à la simple évocation des saveurs de son enfance. »
Aujourd’hui, Majouja est devenu un rendez-vous incontournable pour les amoureux de cuisine du monde. Mais pour Katia et Nora, le véritable succès réside ailleurs. « La plus belle récompense, c’est que nos clients reviennent », affirme Katia.
Pendant le Ramadan, les réservations s’envolent : « On est complet quinze jours à l’avance », précise encore la jeune femme.
« La nourriture, c’est un langage universel. Quand elle est faite avec le cœur, elle touche tout le monde », conclut avec le sourire Nora.