Marrakech, le riad des cultures
Située au cœur de la médina, la Maison du dialogue, également appelée Maison Denise-Masson, est dédiée à l’art et au fait religieux. Le lieu accueille en résidence artistes et chercheurs, promoteurs de l’interculturalité.
Un havre de paix, non loin du tumulte de la place Jemaa El-Fna. Il faut arpenter les ruelles étroites de la médina, aux reflets ocre et au calme olympien, pour tomber sur la Maison du dialogue. “On nous trouve rarement du premier coup”, s’amuse Sophia Tebbaa, la directrice des lieux. Le vélo de Denise Masson, installé dans la cour à l’entrée du riad, salue le public.
En novembre 1994, l’islamologue connue pour ses travaux de traduction du Coran en français s’éteint à l’âge de 93 ans. Son testament prévoit le legs de son riad à la Fondation de France, qui en confie ensuite la gestion à l’Institut français de Marrakech. “Elle aimait cette ville et souhaitait laisser quelque chose d’utile derrière elle.” Ses quelque 4 000 livres ont été donnés à la Bibliothèque nationale. “Je l’ai côtoyée à la fin de sa vie, rembobine Sophia Tebbaa. Je lui rendais visite, alors qu’elle préparait son départ. Elle avait fait monter un matelas et dormait là, au milieu des livres.” La pièce abrite désormais des conférences autour du fait religieux et accueille les imams de la ville une fois par an, qui récitent le Coran en son nom, bien qu’elle fût chrétienne.
Valoriser la lecture et l’artisanat local
Lorsqu’on la nomme à ce poste il y a cinq ans, Sophia Tebbaa veut structurer les activités de la maison. Au bout du couloir, la Franco-Marocaine regagne son bureau et pointe les étagères aux murs. “J’ai mis en place un prêt de livres pour les enfants du coin. Celle qui se qualifie de “fille de la médina” a à cœur d’encourager la lecture là où il y a peu de moyens. “Ma double culture est un atout. Je suis une vraie Marrakchia, et malgré mon côté bourgeois, je sais m’adapter à tout !” plaisante-t-elle. Les femmes, que Sophia sait mettre à l’aise, sont aussi formées pour façonner leur savoir-faire et valoriser l’artisanat local. “Tout le monde s’est approprié le lieu. C’est notre plus grande réussite.” D’une voix portante mais bienveillante, la brune aux yeux émeraude demande à une employée de débarrasser un salon des fioritures qui l’encombrent. On y aperçoit un piano et un orgue électronique. “Denise Masson était aussi mélomane ! Une de ses nombreuses passions…”
Concerts, expositions, ateliers d’écriture
La fenêtre laisse entrevoir le jardin pittoresque du riad. Un monde gorgé de lumière, cerné par une pelouse verdoyante, des orangers et des palmiers. En son centre, une fontaine reliée par plusieurs allées. Les chats sauvages en font leur terrain de jeu, les visiteurs déambulent ou s’attablent. Concerts en plein air, expositions, ateliers d’écriture… L’offre est variée.
Les artistes et chercheurs en résidence doivent se rapprocher de la population. “Il paraît que je joue bien le jeu”, lance Edouard en sortant de sa chambre. Installé là depuis un mois, il est à la fois chercheur et artiste. Après un séjour au Maroc, puis au Yémen, au Kurdistan et en Ouzbékistan, le quadragénaire s’intéresse à la genèse de l’eau dans l’urbanisme. “Ici, ça s’appelle les ‘khettaras’(1). Elles sont en voie de disparition”, souligne le spécialiste. Alors, il sillonne les villages reculés pour rencontrer les habitants et recueillir leur sentiment sur la raréfaction de l’eau. Il collectionne les cartographies. Ses clichés sont exposés(2) et racontent l’histoire de l’eau et des hommes du pays. “Ce lieu m’offre des ressources précieuses et crée les conditions d’une rencontre avec l’autre.” Sophia acquiesce : “Edouard sait entretenir cela. Il est un trait d’union entre les cultures.”
Œuvrer pour le dialogue interreligieux
Dans l’après-midi, de nouveaux locataires prennent leurs marques dans le riad. Des traceurs, déjà venus l’an dernier dans le cadre d’une rencontre internationale de parkour (gymnastique urbaine qui consiste à bondir au-dessus des immeubles). Parmi eux, Charles Brunet, venu de Tours. A 31 ans, il s’est fait connaître en sautant de toit en toit, avec des figures vertigineuses. “J’aime cet endroit pour sa beauté et ses différences culturelles. Le parkour fait vivre cela.” Sur le toit de la Maison, il donne un aperçu de ses performances. Il rencontrera le lendemain des traceurs casablancais, avec l’ambition de susciter des vocations. “L’an dernier, on a même donné des cours aux jeunes de la médina.”
A la nuit tombée, le riad se transforme en jardin merveilleux, digne des Mille et une nuits. Les feux allumés aux quatre coins du patio guident les spectateurs vers l’ancienne piscine. Dans la continuité de l’exposition photographique “Pluralité du croire” (en partenariat avec le CNRS), c’est un concert de chants sacrés de la Méditerranée qui commence. Très vite, les Voix du Maroc transportent la salle comble avec des psaumes chrétiens, musulmans et juifs. Un tronc de palmier, fondu dans le décor transperce le plafond comme pour toucher le ciel. Les voix féminines et masculines s’élèvent, accompagnées d’oud, de violon alto et de percussions.
“Les douze musiciens étaient en résidence ici pendant une semaine, mais il a fallu un an pour développer l’idée”, précise Yassine Benameur, directeur de l’association Orient lyrique. Orchestrations, choix des partitions, réadaptation et harmonisation : “Un important travail de recherche pour ouvrir les frontières”, ajoute Olivier Desbordes, metteur en scène d’opéra et fondateur du Festival de Saint-Céré qui reproduit le concert cet été. “Nous fêtons les 50 ans de la traduction du Coran par Denise Masson. C’est donc symbolique de jouer ici”, conclut Youssef Kassimi Jamal, à la tête de l’orchestre. Un concert pour un dialogue interreligieux, que la Dame de Marrakech ne cesse d’incarner encore aujourd’hui.