Ouighours : Des fuites révèlent les dessous du programme d’internement massif
Des centaines de pages de documents internes transmis au New York Times donnent un aperçu du début du programme d’enfermement de masse des musulmans ouïghours, de sa justification par les autorités chinoises et de la manière dont certains fonctionnaires ont tenté de résister. Mis en cause par ces documents, Pékin accuse en retour le journal américain d’avoir utilisé des documents « hors contexte ».
Le prestigieux quotidien américain a affirmé au cours du week-end avoir mis la main sur plus de 400 pages de documents internes au pouvoir chinois, dont des discours secrets du président Xi Jinping appelant dès 2014 à lutter « sans aucune pitié » contre le terrorisme et le séparatisme dans la région à majorité musulmane du Xinjiang au nord-ouest du pays.
D’après des organisations de défense des droits de l’Homme, plus d’un million de musulmans, principalement d’ethnie ouïghoure, sont en détention dans des camps de rééducation politique au Xinjiang. Pékin récuse ce chiffre et évoque des « centres de formation professionnelle » destinés à lutter contre la radicalisation islamiste. Une politique de répression massive que le Washington Post avait comparé aux prémices de l’extermination des juifs par l’Allemagne nazie.
« C’est précisément parce qu’une série de mesures antiterroristes préventives ont été prises à point nommé qu’il n’y a plus eu d’attentats au cours des trois dernières années », s’est justifié le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Geng Shuang, qui a affirmé que « plusieurs milliers » d’actes terroristes y avaient été commis jusqu’à fin 2016.
« Non seulement le NYT ignore les faits, mais en plus il utilise des méthodes douteuses consistant à sortir des éléments de leur contexte afin de publier de soi-disant documents internes et calomnier les efforts de déradicalisation et d’antiterrorisme au Xinjiang », a martelé le porte-parole.
Des résistances au sein de l’appareil d’État
Les documents secrets publiés par le quotidien américain offrent un très rare aperçu des mécanismes à l’œuvre au Xinjiang pour organiser une campagne impitoyable de détention massive au nom de la lutte contre le terrorisme. Selon le journal, cette énorme fuite laisse à penser que la politique suivie dans la région ne fait pas l’unanimité au sein du pouvoir : les documents ont en effet été transmis par un membre de l’appareil, qui a émis l’espoir qu’ils empêchent le régime, y compris le président Xi, « d’échapper à sa culpabilité pour les détentions généralisées » dans cette région.
La répression a en effet suscité des doutes et de la résistance de la part des responsables locaux, qui craignaient d’exacerber les tensions ethniques et d’étouffer la croissance économique. Le responsable local du parti communiste, Chen Quanguo, nommé en 2016 y a répondu en purgeant les responsables soupçonnés de lui faire obstacle. C’est notamment le cas de Wang Yongzhi, qui après avoir participé à la campagne d’enfermement massif a fait libérer discrètement plus de 7 000 détenus. Il craignait notamment que la pénurie de main-d’œuvre ne freinât la croissance économique dont dépendait sa carrière. Son acte de défi lui a valu d’être démis de ses fonctions et poursuivi en en justice.