Rébellion partielle de la diplomatie française contre la politique de Macron au Proche-Orient

 Rébellion partielle de la diplomatie française contre la politique de Macron au Proche-Orient

« C’est l’expression d’une inquiétude, celle de voir la France perdre de son influence auprès de certains pays arabes », mais aussi bien au Quai d’Orsay qu’à l’Elysée, ce tumulte d’une ampleur inédite au sein d’une diplomatie d’ordinaire disciplinée, source de grand malaise, passe mal.  

Première alerte dès le 8 novembre dernier, le journal Le Monde évoquait le fait que positionnement adopté par le chef de l’Etat sur la guerre entre Israël et le Hamas, parfois sans concertation avec le Quai d’Orsay, suscite un malaise dans les rangs du ministère, alors que doit s’ouvrir, jeudi, une conférence humanitaire sur Gaza, à l’Elysée. Le président français y a certes mis de l’eau dans son vin, en demandant que les hôpitaux de Gaza soient épargnés par les frappes israéliennes, mais cela n’a visiblement pas suffi à calmer la fronde en interne.

Un groupe de diplomates français en fonction au Moyen-Orient a en effet rédigé une note critiquant la politique d’Emmanuel Macron dans la région et déplorant un parti pris pro-israélien, un geste hautement inhabituel qui témoigne du malaise de certains fonctionnaires au ministère des Affaires étrangères.

L’existence de cette note confidentielle a été révélée dans des cercles de diplomates qui en ont dévoilé la tonalité au quotidien Le Figaro. Son contenu exact n’a néanmoins pas filtré.

Ancien otage en Irak et grand reporter pour Le Figaro spécialiste du Moyen-Orient et « Le déclassement français au Moyen-Orient et au Maghreb » Georges Malbruno commente cette info le 13 novembre

« C’est une note interne à caractère professionnel qui est inhabituelle dans sa forme puisqu’elle est collective, signée par une dizaine d’ambassadeurs du Moyen-Orient », a expliqué à l’AFP Denis Bauchard, ancien ambassadeur en Jordanie, qui s’est entretenu avec une des personnes ayant eu connaissance de la note.

Des dizaines – voire plus – de notes dites « diplomatiques », autrefois appelées télégrammes, sont envoyées chaque jour par les ambassades et consulats au ministère des Affaires étrangères. Mais elles n’ont pas vocation, loin s’en faut, à devenir publiques.

Cependant la fuite n’est « pas fortuite », insiste un diplomate à Paris, qui requiert l’anonymat, alors que le conflit israélo-palestinien fait débat dans toute la société française, le Quai d’Orsay n’y échappant pas. Cette note « apparaît comme une véritable démarche d’ambassadeurs qui font un constat identique », remarque Denis Bauchard, également ex-directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient au ministère. « C’est l’expression d’une inquiétude, celle de voir la France perdre de son influence y compris dans des pays avec lesquels les relations sont traditionnellement bonnes que ce soit au Liban, en Jordanie ou en Egypte ».

« Le Quai d’Orsay ne commente pas la correspondance diplomatique de nature confidentielle« , a réagi hier Anne-Claire Legendre, la porte-parole du ministère. « La diplomatie n’est pas affaire d’opinions individuelles exprimées dans la presse. Le devoir de réserve et l’obligation de loyauté s’appliquent aux diplomates comme à tous les fonctionnaires« , a-t-elle fermement ajouté sous forme de rappel à l’ordre.

 

Yves Aubin, ancien ambassadeur français en Tunisie, explicite sa position

Pour l’ancien ambassadeur en Irak et en Tunisie, Yves Aubin de la Messuzière, cette note résulte de « prises de position successives du président sur le conflit israélo-palestinien qui suscitent l’incompréhension » chez certains ambassadeurs. « On a le sentiment, dit-il, d’initiatives ou de propositions irréfléchies ou totalement improvisées, comme celle qui consistait à élargir les missions de la coalition internationale de lutte contre l’Etat islamique au combat contre le groupe terroriste Hamas ».

C’était « inutile et inopérant », poursuit-il, en référence au fait que de nombreux pays arabes n’auraient jamais adhéré à une telle initiative. Il souligne aussi que les positions du président rendent assez « illisible » la politique étrangère de la France, ce qui complique la tâche des diplomates sur le terrain.

Reste à savoir si les diplomates en question peuvent à présent rester en poste ou s’ils assortiront ces courriers, désormais fuités, d’une démission collective. Le 7 novembre, une ancienne collaboratrice contractuelle du ministère des Affaires étrangères spécialisée sur le Proche-Orient, a été identifiée alors qu’elle arrachait à Paris des photos d’otages du Hamas à Gaza. La ministre Catherine Colonna a requis une enquête administrative sur les conditions de son recrutement.

 

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