Réanimation : Dr Mehdi Chemlal, un spécialiste sur la ligne de front
Depuis le début de l’épidémie, le docteur en réanimation, Mehdi Chemlal ne connait (presque) pas de repos. Il est sur le front, tentant de sauver des malades aux multiples pathologies. Un travail stressant et ingrat mais qui peut aussi apporter des bonnes nouvelles lors de la sortie des malades.
Devant une clinique de Rabat, on entend en fond sonore, un journaliste égrené le nombre de cas de réanimation, avec le même ton qu’un résultat de match de football. Une déshumanisation devenue habitude pour un mot sans en comprendre véritablement le sens. Autant être clair ! Le personnel d’un service de réanimation tente le tout pour le tout pour ramener le patient à un état « normal ».
Le réanimateur, « dernier parmi les derniers »
Devant le bâtiment en verre, les yeux du Dr Chemlal ne mentent pas. Sa douleur n’est pas feinte. S’il peut lui arriver de lâcher une larme sincère, n’allez pas croire à un signe de faiblesse ! Malgré les années ou le nombre de morts, c’est toujours une perte pour lui quand un de ses patients décède.
Il faut dire que c’est souvent le dernier médecin au chevet des malades. Il est celui qui voit la mort de près et dont la vie de ses patients aux multiples pathologies dépend. « Nous faisons tout pour les sortir de chez nous. Quand la situation se dégrade jusqu’au décès, on est démoralisé évidemment. On est touché physiquement et psychiquement ce jour-là ! »
Profondément humain, ce « spécialiste des généralistes » fait son maximum. Des fois, ça réussit, d’autres pas ! Il tente mais reste tributaire du paramètre destin, dont il n’a pas la maitrise. Outre le stress avec le patient, il lui faut aussi jouer le rôle compliqué de relayeur auprès de la famille.
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Tanger et les rêves d’Amérique
Né dans la ville du détroit d’un père ingénieur et d’une mère architecte, le tout juste trentenaire, Mehdi Chemlal se voyait bien dans les pas de son père. « Très jeune, j’étais attiré par les sciences. Nous n’avions pas de lien direct avec la médecine, à l’exception de ma soeur qui a suivi cette voie. »
Bac en poche, il s’envole pour les Etats-Unis à Washington. Parallèlement, il tente le concours de médecine et le réussit. Son choix est alors trouvé même si les premières années sont dures. « J’ai du venir à Rabat car il n’y avait pas de cursus à Tanger. Les cours étaient très théoriques. C’est après le concours d’internat que l’on découvre véritablement le travail médical. »
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La spécialisation la plus stressante à l’hôpital
Classé 15ème sur 400, il effectue son internat à l’hôpital Avicenne de Rabat. Lors de son stage, il approche la réanimation où il va passer un an et demi de plus à se former à cette pratique. « Depuis mon enfance, j’aime les métiers qui demandent d’être attentif. La réanimation est surement la spécialité la plus stressante dans le corps médical. »
Au Maroc, comme en France, le poste comprend une spécialisation commune de réanimation et d’anesthésie. Cette dernière consiste à gérer les malades lors de leur passage dans un bloc opératoire (préparation, anesthésie et réveil des malades). On sépare aussi la réanimation chirurgicale (post-opératoire) et celle médicale qui consiste à suivre les malades dans des services de soins intensifs.
Une des grandes peines du Dr Mehdi Chemlal est la faible proportion de médecins réanimateurs au Maroc. « Nous sommes face à un double problème. Il est vrai que la réanimation demande des efforts. Peu de jeunes vont dans cette voie. D’un autre côté, nous sommes face au problème structurel de manque d’ouverture de postes que l’on a dans l’ensemble du Royaume. »
Au niveau des équipes de réanimation, il n’existe pas de statut d’infirmier réanimateur. Elles sont issues en général de personnel des blocs opératoires. Plus expérimentées mais pas forcément mieux payées, elles gèrent leurs métiers sur des actions souvent plus difficiles que dans un cadre hospitalier classique (traitement plus lourd, attention de tous les instants, gestion physique des malades, etc..)
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Un médecin « spécialiste des généralistes »
La réanimation ne peut être exercée seule et lui confère un rôle pivot avec tous les services. On considère le médecin réanimateur comme le « spécialiste des généralistes » ou « le généraliste de toutes les spécialités ». On a recours à lui au stade final des maladies. « Toute personne qui va subir une complication, revient vers nous, remarque le Dr Chemlal. Que ce soit en néphrologie, pneumologie ou cardiologie, les malades qui passent en soins intensifs sont alors pris en charge par le réanimateur qui jugule toutes les informations du patient en même temps. »
Il faut alors comprendre, analyser et tenter des actes en accord avec les spécialistes de chaque domaine. « Un bon réanimateur doit avoir un bon regard d’ensemble de toutes les spécialités. Sans aller au fond des choses, il doit connaitre les complications de chaque maladie. La situation médicale d’un malade en réanimation est imprévisible et tout changement doit aussi être annoncé aux familles. »
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Dire la vérité, sans choquer, ni atténuer
Le réanimateur crée souvent un lien particulier avec la famille qui peut durer dans le temps. « Un de mes patients est resté pendant 3 mois en soins intensifs avant de mourir, indique le médecin-réanimateur. Par la force des choses, on se lie d’amitié. On espère avec eux aussi ! Il faut éclaircir sur la situation du malade mais même en expliquant les détails, ce n’est pas évident à saisir. Un de mes principes est d’éviter de mentir aux familles. La première des choses que je leur dis, c’est qu’une personne en soins intensifs est en situation critique. Il faut qu’elle saisisse que le passage de l’unité de réanimation à une chambre normale signifie une amélioration de la condition médicale du patient. »
Conscient de la douleur que cela peut engendrer, il voit la vérité comme une obligation mais aussi comme une difficulté dans le choix des explications des maladies. « Chaque mot est scruté par des familles en recherche d’informations. Il faut faire attention à ce que l’on dit et surtout à la manière dont c’est compris. Il faut donner la réalité des faits mais ne pas tomber dans le pessimisme non plus. »
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La Covid, un processus exceptionnel qui perdure
Cette épreuve de la Covid a été et reste particulière. Pour les unités de réanimation comme pour les patients. « Il existe plusieurs cas de sorties de notre unité mais, que ce soit avec ou sans intubation, cela demande des efforts autant pour le malade que pour le personnel. Nous n’avons jamais eu à affronter un tel flux continu. »
Mehdi Chemlal se rappelle que la première vague a été la plus dure à gérer. » Nous recevions des malades avec des retards de diagnostic et d’acheminement jusqu’à nos services. Ils arrivaient à des stades déjà avancés ou avec des tares dures (surinfections, atteinte d’organes, fonction rénale ou cardiaque altérée, etc..). Tout ceci complique la prise en charge. »
Le docteur est conscient que cette quasi-année a été une source perpétuelle de stress et d’angoisse. « Je n’ai pris que de manière très très épisodique des jours de repos, explique le Dr Mehdi Chemlal. Même quand vous partez, vous n’arrivez pas à vous détacher totalement. Vous vous demandez continuellement si tel patient s’est remis ou tel autre va mieux après le traitement. »
Peines et joies d’un métier toujours différent
La source d’inquiétude perpétuelle est l’épée de Damoclès qui plane sur le patient. Pour le médecin réanimateur, la clarté avec la famille permet d’aborder la question du décès de manière plus sereine, même si cela ne change rien à la douleur du médecin et des proches. « Malgré tout ce que l’on veut bien dire, l’annonce reste une des choses les plus dures à faire de ce métier. Toutefois, plus on est clair depuis le début, plus cela permet d’en faciliter l’expression. »
Il reste toutefois des motifs d’espoir. Des patients sortent et rentrent même chez eux. Le réanimateur a alors l’impression de devenir un être à part, auprès de ces malades. Un membre de la famille en quelque sorte ! « Le ou la voir marcher ou l’accompagner en dehors de notre unité est la preuve que nous avons réussi. Il m’arrive de me rendre chez eux avec plaisir, en dehors de mes horaires de travail. J’y vais comme si j’allais voir un oncle ou une tante, juste pour m’assurer que tout va bien.«