RATP : L’inspection du travail rejette la révocation d’un syndicaliste

 RATP : L’inspection du travail rejette la révocation d’un syndicaliste

L’élu CGT à la RATP, Ahmed Berrahal (DR)

L’élu et syndicaliste CGT de la RATP, Ahmed Berrahal voit sa révocation de l’entreprise, retoquée par l’inspection du travail. Elle juge les faits de harcèlement moral non avérés contre celui qui a dénoncé des attitudes sexistes au sein de l’entreprise.

La vie d’un syndicaliste est faite de combats. Salaires, retraites, conditions de travail mais aussi lutte contre le harcèlement sexuel dans l’entreprise. Et aussi surprenant que cela puisse être, c’est sur ce point que l’élu CGT, Ahmed Berrahal se voit faire des reproches par sa direction. « Là où on devrait me donner une « médaille » pour dénoncer de tels actes, on cherche à me licencier !  »

Elu référent contre le harcèlement et les violences sexistes, il dénonce, depuis plusieurs années, les propos déplacés, insultes ou agressions sexuelles contre les femmes de la RATP. Des actes qui font tache pour l’entreprise qui a commencé à se féminiser depuis quelques années. Au sein de l’entreprise publique de transports, on préfère « détourner le regard » plutôt que d’affronter la réalité.

Au lieu de soutenir l’élu dans sa démarche, on lui reproche des faits non avérés de harcèlement moral contre un collègue. Une demande de révocation a même été instruite contre celui qui subit depuis plusieurs années, l’acharnement de sa direction avec une à deux procédures judiciaires par an, toujours perdues par la RATP. Fin août, c’est encore le cas. L’inspection du travail tranche : elle refuse l’autorisation de procéder à la révocation de l’élu CGT.

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Un jeune de quartier qui lève la tête

De son propre aveu, Ahmed Berrahal n’a jamais pensé être syndicaliste dans sa jeunesse. Ni délégué de classe, ni porte-parole, il grandit au sein de la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois en Seine Saint-Denis, « qui forge le caractère pour être des combattants, nous explique l’élu du personnel. Au sein du quartier, on subissait la discrimination policière avec des propos déplacés, des coups de matraques, etc.. »

Après un BEP vente, il vit de petits boulots avant une formation qui lui permet d’acquérir un permis bus. Il intègre alors la RATP en 2004. « On n’était pas très bien vus. On était des mecs de cité. Notre façon de parler ne leur plaisait pas mais j’ai trouvé une vraie famille au sein de l’entreprise. Nos anciens ont travaillé toutes leurs vies en baissant la tête. Ce n’est pas le cas de notre génération ! »

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L’apprentissage de la lutte au travail

Intégré en tant que machiniste-receveur, il découvre un monde du travail où les coups sont plus feutrés mais néanmoins aussi douloureux. « C’est à la RATP que je découvre le syndicalisme, précise Ahmed Berrahal. Des camarades à la CGT m’apprennent ce que représente la lutte pour défendre les agents. Je prends conscience que l’on passe des coups de matraque au stylo avec des rapports pour un oui, pour un non. On apprend un vocabulaire à utiliser devant la direction, le droit, les conditions de travail  »

Elu depuis 2010 délégué du personnel, il défend les salariés, notamment dans les conseils disciplinaires au siège du groupe pendant 3 ans avant de repartir sur le terrain. « J’ai vu des personnes avec 25 ans de boite se faire licencier alors qu’ils avaient des enfants et des crédits sur le dos. Je ne supporte pas l’injustice et les abus de pouvoir que l’on peut rencontrer. Le petit arabe de banlieue qui connait le droit, ça ne plait pas !  »

Ratp : Manifestation de soutien à Ahmed Berrahal
Manifestation de soutien à Ahmed Berrahal (DR)

Acharnement judiciaire contre le syndicaliste

A la pointe de plusieurs combats pour les salariés, il fait l’objet de sanctions de la direction à partir de 2016. Sur les 200 présents, on lui signifie 5 jours de mise à pied pour avoir bloqué le dépôt. Contesté aux prud’hommes, il récupère ses droits. En 2017, rebelote. 5 jours de mise à pied pour son militantisme et « propagande ». A nouveau, les prud’hommes se rangent du côté du salarié.

En 2019, après un constat de bus non conformes pour aller sur la route, il est à nouveau, parmi les 12 élus, convoqué pour un licenciement qui se transforme en mise à pied. Les prud’hommes doivent se prononcer sur cette affaire.

Lors de la grève des retraites, il est accusé d’avoir bloqué des dépôts et d’avoir apporter des étudiants et des profs pour le faire. Sur les 300 personnes présentes, il est le seul à passer devant le conseil de discipline avec deux mois de mise à pied qui sont actuellement contestés aux prud’hommes. « Je passe ma vie dans les tribunaux, indique Ahmed Berrahal. Cette année, je suis passée deux fois au conseil disciplinaire. Je ne fais que mon travail de syndicaliste. Aucun des faits qui me sont reprochés ne sont avérés. Ils veulent juste me faire perdre mon temps. Ils ne pensaient pas que j’attaquerais la société en mon nom propre aux prud’hommes. »

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Des violences sexistes que l’on préfère ne pas voir à la RATP

En 2019, il est élu secrétaire au CSE. Il devient aussi référent harcèlement pour 5400 salariés sur son secteur (Aubervilliers, Flandre, Pleyel, etc..). « Tous les syndicats ont soutenu ma candidature. Je défendais déjà la cause des femmes et les outrages qu’elles pouvaient subir. »

Dés sa prise de fonction, une femme d’un dépôt dénonce avoir été harcelé sexuellement par son chef. Il lui aurait touché les seins et les fesses. « C’est toujours la même procédure. Je demande que l’on m’étaye tous les faits (dépôt de plainte, main courante, etc..) par mail. En tant que référent, j’alerte la direction.  Ensuite, nous menons une enquête pour connaître la teneur des propos ou des actes. » Il découvre alors qu’une autre femme a subi les mêmes actes. L’homme en question prend alors une sanction disciplinaire avec 5 jours de mise à  pied et se retrouve muter au siège de la RATP à Bercy. Une autre femme accuse son chef de lui avoir proposé une promotion canapé. Après l’enquête du syndicat, la RATP met le chef en question à  la retraite.

Après une alerte sur un nouveau cas (toucher de seins, de fesses et volonté d’embrasser de force), l’élu applique la même  procédure. En guise de réponse, il est convoqué pour une révocation pour harcèlement moral contre l’agresseur présumé. « Quand je dénonce de tels actes, la direction me le reproche en s’en prenant au référent que je suis. On fait croire que l’on entend mais quand c’est un membre de la direction, on fait taire l’affaire. Un machiniste serait déjà à la porte pour de tels actes !  »

 

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Le harcèlement sexuel, un sujet à prendre « sérieusement » en compte

Pour « forcer » le syndicaliste au silence, la direction accuse Ahmed Berrahal de lui avoir envoyé la main courante, de ne pas avoir serré une fois la main du chef à 4h57 du matin en 2019, d’avoir indiqué des DGI (danger grave et imminent) durant la période de Covid-19, etc. Sur ce dossier, l’inspection du travail a tranché en faveur du salarié et rejeté l’autorisation à une révocation de l’élu. Elle juge que l’élu a fait « l’objet d’un traitement différencié discriminatoire » dans cette procédure de licenciement. « Le lien entre la demande de révocation » et « l’exercice des mandats de M. Berrahal est établi« , juge l’inspection.

De son coté, la direction de la RATP « entend déposer un recours hiérarchique » contre cette décision, dont elle « analyse les motivations juridiques« , comme elle a annoncé à l’AFP.

On compte approximativement entre 20 à 25% de personnel féminin dans l’entreprise dans laquelle les mauvaises habitudes sont dures à changer. « Sans se voiler la face, il existe des propos sexistes dans ce monde d’hommes. Beaucoup de femmes ont peur de dénoncer les faits et d’un retour de bâton. L’un des chefs envoie des SMS à une heure du matin à des nouvelles salariées en leur disant qu’elles ont un « bon petit c. » et leur proposer d’aller faire du sport. Est-ce de la drague ou des propos sexistes ? Les agents ne sont pas formés à savoir ce qui peut ou non être dit ou fait. La RATP veut donner une image qu’il n’y a pas de tels actes. Elle commence à prendre conscience du problème. Elle a les moyens d’effectuer des formations pour que cela cesse. Des associations féministes devraient venir donner des cours sur place. »