Rafik Arabat : « Nos performances intéressent très peu les médias »

 Rafik Arabat : « Nos performances intéressent très peu les médias »

crédit photo : Nadir Dendoune

Pour la première fois, l’athlète français Rafik Arabat, champion du monde de para-haltérophilie en 2021, participera aux Jeux Paralympiques dans la catégorie des moins de 97 kilos. La compétition commencera le 1er septembre prochain. Lui entrera en piste samedi 7 septembre à 17h à l’Adidas Arena, située à la Porte de la Chapelle. Le natif de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis, avait manqué les Jeux de Tokyo en raison d’un test positif au Covid.

Vingt fois champion de France, dix-huit fois recordman de France — sa meilleure barre est à 212 kilos —, champion du monde en 2021, vice-champion d’Europe en 2022, il espère décrocher une médaille. Nous l’avons rencontré le mardi 13 août devant l’Hôtel de Ville de Paris, où il animait un atelier de sensibilisation aux disciplines paralympiques.

Votre journée de compétition aura lieu le 7 septembre à l’Adidas Arena de Paris. Vous sentez-vous prêt ?

Rafik Arabat : Je me sens plutôt bien. Je ne suis pas blessé. J’ai fait une bonne préparation. J’ai hâte d’être aux Jeux.

Visez-vous une médaille ?

Rafik Arabat : Oui, même si cela sera difficile. Il y a beaucoup d’excellents athlètes. Mais je ne vais pas aux Jeux pour faire de la figuration. Je fais partie des huit meilleurs mondiaux, alors oui, c’est possible. La compétition va être serrée, mais je vais tout faire pour ramener une médaille.

Vous avez dit par le passé que votre sport manquait de moyens. Est-ce toujours le cas en cette année paralympique ?

Rafik Arabat : Oui. Je n’ai toujours pas de sponsors et touche une allocation handicap d’environ 1 000 euros, juste de quoi me nourrir et me loger. Je suis néanmoins conscient que d’autres en France ont moins que moi. Heureusement, je suis soutenu par la Fédération française handisport, qui prend en charge mes stages d’entraînement. Je reçois également une subvention de la ville de La Courneuve, mais à part ça, comme pour la plupart des athlètes paralympiques, pratiquer mon sport à un haut niveau est un véritable chemin de croix.

Et malgré cela, vous êtes performant…

Rafik Arabat : Oui, heureusement que nous sommes les rois de la débrouille, sinon nous serions nombreux à abandonner nos rêves de médailles paralympiques !

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Comment expliquez-vous ce manque d’intérêt des sponsors ?

Rafik Arabat : Nous sommes très peu médiatisés, un peu plus cette année, c’est vrai, en raison des Jeux Paralympiques qui ont lieu chez nous. Mais le reste du temps, nos performances intéressent peu ou pas du tout les médias. Pourtant, je m’entraîne aussi dur qu’un Teddy Riner ou qu’un Léon Marchand. Je souffre autant qu’eux. Et vous le savez bien : les sponsors ne s’intéressent à vous que lorsque vous êtes médiatisé. Nous ne demandons pas de traitement de faveur, juste d’être reconnus à notre juste valeur.

Pensez-vous que ces Jeux à domicile peuvent débloquer cette situation ?

Rafik Arabat : Je ne sais pas, je l’espère. Je suis quelqu’un d’optimiste. Même si j’ai peur que la lumière ne s’éteigne trop rapidement après les Jeux. Par contre, je reste persuadé que ces Jeux à domicile sont une bonne occasion de faire évoluer les mentalités sur le handicap, car peu de gens connaissent vraiment notre quotidien. Nous ne sommes pas des victimes. Nous ne voulons plus être infantilisés.

Vous vivez toujours à La Courneuve…

Rafik Arabat : Je suis très attaché à ma ville, à mon département. J’aime le 93. Je vais souvent à la rencontre des plus jeunes pour leur dire que, malgré les obstacles, il faut continuer ; ce n’est pas parce que tu as un handicap que la vie s’arrête. C’est plus compliqué pour nous que pour les autres, il faut juste se battre deux fois plus. Pour beaucoup, la vie est difficile, mais quand on s’accroche, elle peut être très belle.

Vous êtes né avec une malformation de la colonne vertébrale qui vous empêche de marcher. Comment s’est passée votre enfance ?

Rafik Arabat : Comme vous pouvez l’imaginer, certaines choses n’étaient pas simples. Nous sommes six frères et sœurs et je suis le seul à avoir cette maladie. Au quatrième mois de grossesse de ma mère, les médecins ont diagnostiqué une malformation d’origine congénitale. Ma mère manquait de vitamines. En gros, mon épine dorsale est fendue en deux. À Montfermeil, nous habitions au 3e étage sans ascenseur. Nous avons dû déménager, -je n’étais qu’un enfant -, et c’est comme ça que j’ai atterri à La Courneuve, dans un appartement plus adapté à mon handicap. Ensuite, je suis allé dans une école primaire traditionnelle jusqu’au CM1, mais cela devenait trop compliqué, alors j’ai été placé dans un institut d’éducation motrice à Gonesse. Entre les cours, j’avais de la rééducation.

Comment avez-vous découvert l’haltérophilie ?

Rafik Arabat : C’est à l’institut qu’un kinésithérapeute m’a proposé de faire de l’haltérophilie pour muscler le haut de mon corps. Je devais avoir 15 ans, et j’ai tout de suite aimé. En parallèle, je faisais aussi de la natation, de l’équitation, de l’escrime. J’ai toujours aimé me surpasser. Un jour, je participe aux championnats de France où je lève, au développé couché, 105 kilos. Peu de temps après, je reçois un appel de la fédération pour participer à une compétition en Grèce et, depuis, je n’ai cessé de m’entraîner pour m’améliorer.

Vous parlez souvent avec tendresse de votre famille…

Rafik Arabat :  Oui, parce que je sais que cela n’a pas été simple pour eux, surtout pour mes parents, qui ont longtemps culpabilisé. Ils ont compris que ce n’était pas de leur faute. Nous sommes croyants dans la famille. Et comme tout musulman, nous acceptons notre sort. Et puis, mes parents ont compris que j’étais quelqu’un d’heureux. Vous savez : même si je pouvais marcher, je le refuserais, car ma vie, je l’ai construite sur ce fauteuil. J’ai transformé mon handicap en une force. Jamais je n’aurais vécu toutes ces belles choses si j’avais été valide.

Nadir Dendoune