Jérusalem, capitale du Maroc

 Jérusalem, capitale du Maroc

Manifestation à Rabat


Al-Qods a ce pouvoir insensé, quasi magique de rassembler au même endroit les pires ennemis. Ils étaient tous là, des islamistes d’Al Adl Wa Ihsane, ceux du Pjd, les « athées » de l’extrême gauche, les laïcs de l’Association marocaine de défense des droits de l’homme, bon nombre de juifs marocains, quelques familles chrétiennes et même les soûlards qui écument les bars de la capitale ont suspendu leur sport favori pour descendre dans la rue. 


Plusieurs dizaines de milliers de personnes qui ont bravé le froid pour descendre dans les rues de Rabat, pour soutenir la Palestine et s'élever contre la décision du Président américain de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël. 


On parle de plus de un million de manifestants mais le problème n’est pas là. Comme toujours, la question de la Palestine en général et celle d’Al-Qods en particulier représentent pour les Marocains une ligne rouge à ne pas dépasser. L’embrasement général qui a touché le monde musulman en protestation contre la décision de Trump revêt ici, une forme particulière.


Les leaders des manifestants qui ont défilé en brandissant des drapeaux palestiniens et marocains dans l'artère principale de la ville, l'avenue Mohammed V, en scandant des slogans condamnant la décision de Donald Trump tentaient de contenir les débordements pour éviter que la manifestation devienne carrément antiaméricaine et ne prenne un caractère antisémite.


Pour comprendre cette rage, il faut savoir qu’entre Jérusalem et le Maroc, c’est une longue histoire. C’est sous l'Empire almohade, sous le règne d'Abu Youssouf Yaqub al-Mansur, que la question d’Al-Qods va prendre une importance capitale pour le royaume chérifien. Le Maroc, sensible au sort des musulmans au Moyen-Orient établit un partenariat stratégique avec Saladin qui débouche sur la participation de la flotte marocaine aux opérations maritimes contre les Croisés en 1182.


Ensuite, au lendemain de la prise de la ville sainte par Saladin en 1187, plusieurs familles originaires du Maroc décident de laisser tomber armes et bagages pour participer au repeuplement d'Al-Qods. Ces populations établissent ainsi un quartier qui sera baptisé dans la foulée « quartier des Magharibas (Marocains) » et dont l'un des vestiges est la Porte des Maghrébins. De nombreux Palestiniens d'Al-Qods héritiers de ces Marocains installés en Terre sainte n’ont jamais coupé les ponts entre les deux nations et jusqu’à présent, ces familles palestiniennes se rendent au Maroc pour garder des liens avec leurs proches.


C’est que Al-Qods représente pour les Marocains autre chose qu’un simple territoire occupé. Ce sanctuaire central dans le Coran commémore autant le « voyage nocturne » (isra) que l’ascension vers le ciel (miraj) du Prophète Mohammad, comme il possède une dimension en partie eschatologique qui contribue à faire du Dôme une préfiguration de la Jérusalem céleste, telle qu’elle doit revenir sur terre au moment du Jugement Dernier et, ce, pour toutes les religions. N’oublions pas aussi que le Maroc est le seul pays au monde où la plupart des juifs du royaume sont antisionistes et beaucoup d’entre eux sont de farouches opposants à la mafia sioniste qui dirige l’état hébreu.


Il est vrai que certaines colères sont totalement utopiques quand on voit un prince héritier saoudien, plus occupé à rouvrir les cinémas et à proposer la mini jupe en remplacement du voile à la gent féminine dans son pays; ou encore un Sissi, proposant de jouer les éboueurs pour ses maîtres à Tel Aviv, en mettant à leur disposition le vaste désert du Sinaï pour parquer les Palestiniens déportés de leur terre. Mais elles sont cependant importantes car il faut montrer qu'il y a encore chez les masses musulmanes non seulement une vision de l’avenir de cette région mais aussi un idéal, un rêve ; celui de retrouver au moins une cohérence dans un monde musulman déchiré entre l’hypocrisie de ses dirigeants et la lâcheté de ses élites.


Abdellatif El azizi