Qui est Bill Bazzi, nouvel ambassadeur américain en Tunisie ?

 Qui est Bill Bazzi, nouvel ambassadeur américain en Tunisie ?

Bill Bazzi en uniforme des US Marine corps

Le président Donald Trump poursuit sa recomposition en profondeur de la diplomatie américaine, en désignant Bill Bazzi, le maire de Dearborn Heights dans le Michigan, l’un de ses fervents soutiens, comme nouvel ambassadeur à Tunis, en remplacement de Joey R. Hood, en fonction depuis février 2023. Que sait-on de ce nouvel « ambassadeur en treillis militaire » comme aiment certains à le décrire.

L’annonce intervient après la nomination d’Amer Ghalib, maire de Hamtramck, également dans le Michigan, comme ambassadeur des États-Unis au Koweït, vient conforter la thèse d’une tendance habile au sein de la nouvelle administration Trump : promouvoir l’ascension d’élus d’origine arabe et musulmane sous cette nouvelle ère, une forme de « populisme de droite » selon l’opposition démocrate, un simple « retour d’ascenseur » selon des analystes qui notent le soutien inédit de diverses minorités converties au Parti républicain, plus particulièrement dans l’Etat du Michigan où le trumpisme avait permis dès son premier mandat permis la relance du secteur sinistré de l’industrie de l’automobile US.

Trump ne fait pas en l’occurrence preuve d’une grande subtilité, puisque la région de Dearborn dans le Michigan est bien connue pour abriter la plus grande communauté d’origine arabe aux Etats-Unis, des profils arabes qu’ils nomme donc dans des pays arabes. Le président républicain a notamment salué le rôle de Bazzi dans sa réélection en 2024 : « Bazzi a travaillé dur pour nous aider à remporter cette victoire historique, et j’ai hâte de voir les grandes choses qu’il accomplira pour notre nation. »

 

« Un attachement personnel à la Tunisie »

Dans un statut publié sur Facebook mercredi 12 mars 2025 et relayé par son épouse Nadia Fadel Bazzi, le nouvel ambassadeur a tenu à à faire valoir son attachement personnel à la Tunisie :

« Aujourd’hui, je suis honoré et reconnaissant d’avoir été nommé par le président Donald Trump pour servir en tant qu’ambassadeur des États-Unis en Tunisie. Parmi les nombreux pays que j’ai visités, j’éprouve une profonde affinité pour la Tunisie et ses institutions. J’ai eu l’occasion d’y rencontrer des parlementaires, de visiter des orphelinats, des écoles et des entreprises qui témoignent du dynamisme croissant du pays dans la région. J’ai hâte de revenir en Tunisie pour représenter notre nation avec honneur et contribuer à renforcer les relations diplomatiques et la coopération entre nos deux pays. »

Originaire du Liban, Bill Bazzi a immigré aux États-Unis dès l’âge de 10 ans et a grandi à Dearborn, une ville où la communauté arabo-américaine est fortement implantée. Diplômé de Fordson High School, il s’est engagé dans le Marine Corps Reserve de 1999 à 2016, atteignant le grade de gunnery sergeant et servant au sein de la police militaire mais aussi des services de renseignement. Il a ensuite rejoint deux grandes entreprises : Boeing dans l’industrie aéronautique et Ford dans l’industrie automobile, où il a travaillé pendant 22 ans. En 2021, il est devenu le premier maire arabo-américain et musulman de Dearborn Heights.

Lors de la présidentielle de 2024, Trump a largement remporté Dearborn, un bastion de la communauté arabo-américaine, contrastant avec 2020 où Joe Biden y avait remporté un landslide.   politique américaine. Ce basculement s’est accéléré après ce que beaucoup ont perçu comme une trahison de Gaza par le président démocrate Biden et la montée en puissance de la vague conservatrice aux États-Unis, qui a aussi touché les communautés arabes.

Bazzi est issu d’une famille libanaise musulmane originaire de Bint Jbeil, l’un des bastions du nationalisme arabe au sud du Liban, près de la frontière avec le nord de la Palestine occupée. Sa famille a fui vers Beyrouth en raison des agressions israéliennes répétées, puis s’est réfugiée à Saïda en raison des guerres civiles. Il est en outre très proche de Farès Boulos, allié de Trump et beau-père de Tiffany Trump, la fille du président. Boulos est également son conseiller spécial pour les affaires arabes et joue un rôle clé dans l’élaboration de ce qui pourrait être appelé la « politique arabe » de la nouvelle administration américaine, qui englobe toute la région MENA, y compris le Maghreb et la Tunisie.

Pour l’opposant tunisien exilé Abdelwahab Hani, « le fait que la Tunisie soit désormais classée parmi les pays bénéficiant de « nominations politiques » – habituellement réservées aux missions diplomatiques importantes et stratégiques – souligne que les priorités de la nouvelle administration américaine en Tunisie sont éminemment politiques ».

« Le nouvel ambassadeur Bazzi connaît bien la Tunisie, qu’il a visitée à de nombreuses reprises. Il entretient des relations étendues avec de hauts responsables militaires, des acteurs économiques et politiques, tant du côté du pouvoir que de l’opposition. Il est également en contact avec de nombreux activistes associatifs et politiques, notamment ceux issus d’organisations financées par les États-Unis, ainsi qu’avec des parlementaires de toutes les législatures tunisiennes depuis 2011 : de l’Assemblée constituante présidée par Mustapha Ben Jaâfar au Parlement issu de la Constitution du 27 janvier 2014, dirigé successivement par Mohamed Ennaceur et Rached Ghannouchi, jusqu’au Parlement issu de la Constitution du 17 août 2022 sous la présidence du duo Brahim Bouderbala – Anouar Marzouki », précise Hani.

 

Un profil issu du « spoils system »

Pour comprendre la nature du système politique américain, il est important de noter que les nominations politiques font partie du système présidentiel dit du « butin » (spoils system), par opposition au « système du mérite » (merit system). Ce système permet au président élu de nommer certains hauts fonctionnaires et responsables administratifs dans des postes politiques clés, y compris certains ambassadeurs, qui sont parfois considérés comme des membres du gouvernement. Cependant, ces nominations doivent être approuvées par le Congrès après une audition du candidat, qui est soumis à un long interrogatoire sur son programme et ses orientations politiques.

Ce système remonte aux origines de la présidence américaine avant d’avoir évolué vers un modèle davantage fondé sur le mérite, avec un encadrement plus strict de la surveillance parlementaire. Aujourd’hui, seules environ 4000 nominations présidentielles sont concernées, sur un total de près de 3 millions de postes fédéraux, soit un pourcentage infime mais influent de 0,125 %. Ces nominations restent soumises à l’approbation législative et aux exigences de compétence et d’expérience.

La loi sur le service diplomatique américain, révisée en 1980, exige que les ambassadeurs soient en priorité issus du corps diplomatique professionnel, avec une expertise et une expérience avérées. Cette règle est respectée dans plus des deux tiers des nominations. De plus, la maîtrise de la langue du pays d’affectation est un critère important. Cependant, la rotation entre les deux partis dominants, démocrate et républicain, a conduit à réserver les postes les plus sensibles à des nominations plus politiques.

Ces dernières semaines, le député américain républicain Joe Wilson appelle à supprimer toute aide des USA à la Tunisie et mène une croisade contre le président tunisien sur les réseaux sociaux, aligné selon lui sur les intérêts iraniens et chinois.

Si l’on peut spéculer sur ce que le président Trump et son administration, notamment son conseiller Boulos et son nouvel ambassadeur Bazzi, préparent pour la Tunisie, il est plus difficile de cerner les intentions du président Kaïs Saïed et de son entourage qui avait nommé en octobre 2021 l’actuelle ambassadrice Tajouri Bessassi à Washington. Un mandat tumultueux pour cette dernière, qui a dû composer avec les rapports tendus entretenus ces dernières années par le président Saïed, qui avait convoqué l’ancien ambassadeur Donald Blome pour protester contre « l’ingérence du Congrès US » lors des évènements du coup de force constitutionnel de Juillet 2021.

 

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