Fabrice Riceputi : »Il y a près d’un millier d’autres Maurice Audin »

 Fabrice Riceputi : »Il y a près d’un millier d’autres Maurice Audin »


Professeur d’histoire-géographie et auteur, il est le fondateur du site www.1000autres.orgqui recense les noms de personnes disparues depuis la bataille d’Alger, en 1957. Probablement arrêtés et torturés à mort par l’armée française, comme l’a été le jeune mathématicien, militant communiste.


Soixante et un an après, le Président, Emmanuel Macron, a reconnu officiellement que Maurice Audin a été torturé par des militaires français. Qu’est-ce que cela va changer ?


L’Elysée ne reconnaît pas seulement que Maurice Audin a été torturé et assassiné par l’armée française. Il reconnaît que ce crime particulier n’est nullement une bavure, mais bien le produit d’un “système” qui a été délibérément mis en place par la République française elle-même. Il s’agit du vote des pouvoirs spéciaux en 1956 et de la “carte blanche” donnée au général Massu à Alger, le 7 janvier 1957, pour détruire à tout prix le Front de libération nationale (FLN), en toute connaissance des conséquences tragiques que cette décision allait avoir pour les Algérois : torture systématique, exécutions sommaires en grand nombre. La portée de cette reconnaissance-là est grande. Elle en appelle beaucoup d’autres, puisque la terreur a été étendue à tout le pays jusqu’en 1962.


 


Vous avez créé le site 1000autres.org, qui recense les “humiliés dans l’ombre”. Quel en est l’objectif ?


J’ai trouvé et exploité une archive coloniale qui comporte les identités de près d’un millier “d’autres Maurice Audin”, enlevés par l’armée et disparus à Alger en 1957. Ce sont presque tous des Algériens, que leur statut de colonisés avait rendu anonymes jusqu’à ce jour. En situation coloniale, la répression pouvait, en toute impunité, utiliser à leur encontre des moyens normalement réprouvés et interdits, sachant qu’ils ne seraient ni nommés, ni comptés. Ce site a pour but de leur rendre une existence dans l’histoire. D’où l’importance de notre appel à témoignage.


 


Pensez-vous que la date du 17 octobre 1961, marquée par la répression policière mortelle lors d’une manifestation d’Algériens à Paris, soit enfin rentrée dans l’Histoire de France ?


Oui et non. Elle n’est plus occultée depuis le début des années 2000. Mais, vingt ans après le procès Papon, durant lequel l’historien Jean-Luc Einaudi a fait exploser cette bombe mémorielle à retardement (Maurice Papon était à l’époque préfet de police à Paris, ndlr), la société française, qui s’est considérablement droitisée, me semble moins disposée que jamais à se souvenir de cette tuerie raciste. Sa très sommaire et incomplète reconnaissance par François Hollande en 2012 l’a bien montré. Du reste, le lieu de mémoire décidé alors par le Sénat n’a pas vu le jour et les archives de l’Elysée ne sont toujours pas communiquées !