Esther Benbassa : « Il n’y a pas d’extrémistes volontaires pour un lavage de cerveau »

 Esther Benbassa : « Il n’y a pas d’extrémistes volontaires pour un lavage de cerveau »

crédit photo : Martin Bureau / AFP


Chargée, avec sa collègue Catherine Troendlé (LR), d’une mission d’information sénatoriale sur la déradicalisation jihadiste, cette sénatrice Europe Ecologie – Les Verts (EELV) du Val-de-Marne juge sévèrement la politique menée en France dans ce domaine.



En février, dans un bilan évaluant les dispositifs mis en œuvre par l’Etat pour la déradicalisation, vous dénonciez des méthodes dysfonctionnelles, une gabegie financière. Ce constat demeure-t-il ?


Oui. Avec Catherine Troendlé, nous avons tenté de mener une étude reflétant la réalité de cette politique menée en France depuis les attentats, sans céder aux pressions. Après les vagues terroristes de 2013 et 2015, le gouvernement a réagi dans l’urgence. Il a manqué de recul et d’expertise pour mettre au point des méthodes efficaces. Au total, 100 millions d’euros ont été dépensés en trois ans pour la déradicalisation. Des associations ont touché des subventions juteuses. Certaines en ont fait un vrai business. Le centre pilote de Pontourny, en Indre-et-Loire, censé déradicaliser des jihadistes sur la base du volontariat, a coûté 2,5 millions d’euros en tournant quasi à vide. Il est temps d’assainir le champ d’action, et de changer les paradigmes.


 


Pourquoi, selon vous, était-il si prévisible que l’expérience de Pontourny tourne au fiasco ? Existe-t-il une prise en charge qui fonctionne ?


“Déradicalisation” est un terme inadéquat. Il n’y a pas d’extrémistes volontaires pour un lavage de cerveau. Pontourny était un mirage qui illustre parfaitement le problème fondamental de méthode. Dès le début, j’ai préconisé de mettre un terme à cette expérimentation coûteuse. D’ailleurs, quelques jours après la publication de notre rapport final, le 12 juillet dernier, le ministre de l’Intérieur a ordonné sa fermeture. Nous avons visité des structures au Danemark et en Belgique qui ont montré qu’une prise en charge individualisée peut faire ses preuves. Il faut resocialiser et réinsérer ceux qui se sont radicalisés pour les détourner de leurs engagements funestes. C’est un travail au long cours qui doit impliquer les travailleurs sociaux, la famille, les imams, les psychologues…


 


Dans votre rapport, vous avez proposé des pistes pour améliorer cette lutte contre la radicalisation. Quelles sont-elles ?


C’est toute une logique de fond qui est à revoir. Il faut des initiatives plus pragmatiques et mieux adaptées. Il est nécessaire de tenir un cahier des charges des associations engagées et de mettre en place un suivi personnalisé des personnes radicalisées. On devrait donner plus de moyens à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui travaille avec les jeunes délinquants, recouper les signalements de la police, de l’Education nationale, des services sociaux… Nous devrions également partager en réseau nos expériences avec celles de nos voisins, et préparer en amont le retour de femmes et d’enfants de Syrie ou d’Irak….


MAGAZINE SEPTEMBRE 2017