Quand la Jeunesse s’éveillera, l’Afrique tremblera
Hasard de l’histoire, ce mois d’octobre est marqué à la fois par le 53 e anniversaire de l’assassinat du révolutionnaire cubain Che Guevara et les 33 ans de la disparition de Thomas Sankara, le père de la révolution d’août 1983 au Burkina Faso.
Les commémorations ont ceci d’ennuyant parce qu’elles permettent à chacun de trouver son compte, les amis du défunt se gargarisent de ce rendez-vous de la mémoire et ses ennemis se donnent bonne conscience en permettant à ses fidèles de se défouler au détour de quelques slogans rageurs.
Il reste qu’au-delà des tee-shirts à l’effigie des révolutionnaires, au-delà des conférences, il y a toujours quelque profit à tirer du souvenir de ces héros morts dont les idéaux, eux sont toujours vivants.
On retiendra de l’héritage des Africains Sankara, Steve Biko ou encore Mandela, le souci que ces hommes avaient de mettre en avant la jeunesse africaine, seule capable de renverser les termes de l’échange en faveur d’une véritable démocratie ou l’égalité entre les hommes ne serait pas un simple slogan électoral. Or, aujourd’hui, quels sont les chefs d’Etat africains capables de regarder leur jeunesse droit dans les yeux ?
Dans le paysage politique de l’Afrique, mis à part un souverain comme Mohammed VI qui a mis résolument le cap sur l’avenir du continent en misant sur sa jeunesse, le président rwandais Paul Kagame et peut-être le chef de l’Etat kenyan, il n’y a pas grand monde à mettre sur le podium des chefs d’Etat susceptibles de mettre sérieusement en avant la nécessité de confier le témoin à cette catégorie de la population.
A cet effet, il faut noter qu’à chaque fois que l’occasion se présente, le monarque marocain évoque la précarité de la jeunesse, exprime son inquiétude quant à la situation des jeunes, exhortant le gouvernement et les différents acteurs de prendre les mesures qui s’imposent pour diminuer le taux de chômage, arrêter l’hémorragie des compétences, ou encore mettre en place une stratégie intégrée dédiée aux jeunes.
Un chef d’Etat comme le Kényan Uhuru Kenyatta mise également sur la jeunesse africaine. C’est d’ailleurs le message qu’il a tenu à réitérer au cours de sa dernière visite à Paris : « Nous ne regardons pas le vrai potentiel de l’Afrique (…) Ce sont nos jeunes hommes et nos jeunes femmes et leur capacité à construire avec vous, un monde meilleur. Demandez-vous pourquoi tous ces jeunes risquent leur vie pour traverser des milliers de kilomètres ? », s’est-il interrogé, précisant que le problème migratoire ne disparaîtra pas sans le rétablissement de « la paix et de la sécurité » ni sans la création « de vraies opportunités professionnelles » sur le continent.
Reconnaître que les jeunes sont les grands perdants de nos temps de fracture, c’est enfoncer des portes ouvertes. L’enseignement qui leur permettait de profiter de l’ascenseur social est en court-circuit. Dans les ruines des institutions et des certitudes, ils ne savent plus qui ils sont ni où ils vont dans un no man’s land de chienlit.
Bien sûr, évoquer la jeunesse aujourd’hui, c’est aussi risquer de se perdre dans des reproches sans fin, c’est pointer du doigt un certain nihilisme, que le virus du Covid n’a fait qu’exacerber. Des jeunes qui semblent penser tout, et son contraire, où tout se vaut et rien ne vaut.
Penser jeune, c’est penser contre la parole d’autorité, c’est constater un croissant décalage entre la construction d’un avenir qui exige une vision claire entre le dire et le faire, et une pensée où le futile le dispute à « l’absence de décision » que Malraux considérait comme « la caractéristique de notre temps ».
Pourtant, ce sont bien ces jeunes, de Rabat à Nairobi en passant par Dakar qui feront (ou ne feront pas) l’Afrique de demain.
D’où la nécessité d’un compromis avec leur vision du monde. Puisque l’ancien État-nation est en panne d’idées, c’est l’occasion peut-être d’essayer d’autres façons de penser, d’explorer d’autres alternatives.
Contrairement aux absolus d’antan, nous naviguons aujourd’hui dans le brouillard. Autant faire la part belle à un savoir empirique, dont seule la jeunesse a le secret. En évoquant la lourde responsabilité des jeunes dans la construction de son pays, Paul Kagamé les exhorte au devoir de « désobéissance » : « S’il n’apprennent pas tôt, comment corriger les erreurs commises par ceux qui les ont précédés, ( nous), s’ils héritent et continuent à commettre les mêmes erreurs sans être inquiétés, l’avenir de ce pays sera en danger » !
Il serait naïf de croire que tout le monde est prêt à placer cette confiance dans la jeunesse, le sourire aux lèvres. A voir la bousculade aux postes de responsabilité de gérontocrates avérés, à observer ces chefs de partis qui refusent de passer la main, ces vieillards sans pudeur qui trustent des fauteuils de l’administration en attendant de passer le relais à leur progéniture, on peut douter de la volonté de rajeunissement de la classe politique.
A défaut de mettre en avant des profils jeunes, certains se sont convertis au jeunisme, comme si porter baskets et un tee-shirt effaçait magiquement le poids des années.
Bien sûr, mettre le pouvoir entre les mains des générations montantes exige une certaine dose de courage, un grain de folie, même, comme le pensait à juste titre Thomas Sankara : « Vous ne pouvez pas accomplir des changements fondamentaux sans une certaine dose de folie. Dans ce cas précis, cela vient de l’anticonformisme, du courage de tourner le dos aux vieilles formules, du courage d’inventer le futur. Il a fallu les fous d’hier pour que nous soyons capables d’agir avec une extrême clarté aujourd’hui. Nous devons inventer le futur ».
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