Prud’hommes. Dénonciation des faits de corruption à l’IMM de Paris : le docteur Debauchez demande sa réintégration

 Prud’hommes. Dénonciation des faits de corruption à l’IMM de Paris : le docteur Debauchez demande sa réintégration

Le docteur Mathieu Debauchez accompagné de son avocate Maître Sarah El Hammouti. Photo : Nadir Dendoune

Devant le Conseil des Prud’hommes à Paris, ce jeudi 29 août, Maître Sarah El Hammouti a demandé la réintégration de son client le docteur Mathieu Debauchez au sein de l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM) de Paris. Le 8 décembre 2020, après avoir dénoncé des faits de corruption par courriel à sa hiérarchie six mois plus tôt, il est licencié pour « comportement inapproprié ». 

 

Ce jeudi 29 août, seules trois affaires vont être jugées. « Il y a beaucoup de désistements », constate la présidente, assistée de ses trois assesseurs. L’affaire qui nous intéresse est la seconde. Mathieu Debauchez, polo blanc et pantalon en toile bleu est arrivé ce midi de Vendée. Malgré l’enjeu, il semble détendu. « Nous avons un dossier solide et j’ai agi pour l’intérêt général », insiste le docteur âgé de 62 ans, dont 30 ans à exercer le métier de chirurgien. Maître Yon représente l’IMM et Maître Brahami parlera au nom du Défenseur des Droits. 

Le 13 juillet dernier, la Défenseure des droits Claire Hédon a dénoncé le licenciement de Mathieu Debauchez, en le considérant comme « un lanceur d’alerte » et estimant que son licenciement était une « mesure de représailles ».

Le 10 juin 2020, Mathieu Debauchez, responsable du pôle des maladies cardio-vasculaires à l’Institut mutualiste Montsouris (IMM) à Paris informe sa direction de « dysfonctionnements très importants » dus aux « contrats financiers » qu’un médecin de l’IMM, Christophe Caussin, avait signés avec le géant américain Medtronic. Six mois plus tard, il est viré après douze ans passés au sein du prestigieux hôpital parisien.  

Il est 14h quand l’audience commence. La présidente prévient : « 20 minutes chacun pour vos plaidoiries ». Maître El Hammouti est la première à s’exprimer. Elle réclame deux ans de salaire pour son client qui a perdu son travail en novembre 2020. A 2 3000 euros de salaire mensuel, faites le compte, on comprend les grimaces de la partie adverse. L’avocate tient à revenir en détail sur les événements. Elle parle de l’importance qu’à eue le docteur Debauchez dans le « rayonnement de L’IMM », comment il a mis en place « énormément de missions, notamment en Nouvelle-Calédonie où ils ne pratiquaient pas la chirurgie cardiaque ». 

Mais toutes ces explications prennent du temps. La présidente aimerait que ça aille plus vite. « L’affaire n’est pas simple, il faut recontexualiser pour comprendre », lui répond l’avocate qui continue son argumentaire en présentant les pièces qui viennent corroborer ses dires. Durée de la plaidoirie : 20 minutes. Ce qui semble ravir la présidente. 

Place à la partie adverse. Depuis le début de la plaidoirie de Maître El Hammouti, Maître Yon ne tient pas en place. Derrière lui, attentive, la DRH de l’institut en personne, preuve que l’affaire est prise très au sérieux au sein de l’IMM. Une première décision en faveur du docteur Debauchez pourrait déboucher sur d’autres plaintes, d’autres procès… C’est aussi la réputation de l’institut qui est en jeu. 

D’emblée, Maître Yon dénonce « une procédure abusive ». Puis, il tente de décrédibiliser le docteur Debauchez, qui pour l’avocat est un être « rempli de cupidité ». « La défenseure des Droits a été trompée. Un lanceur d’alerte est tenu à une certaine procédure », rappelle l’avocat. « Et elle n’a pas été respectée. Le courriel envoyé par Mr Debauchez daté du 10 juin 2020 n’est pas un mail de lanceur d’alerte. Dans son message, le docteur Debauchez parle de conflit d’intérêt et de dysfonctionnement. Ce n’est pas une dénonciation à proprement parler si on se réfère à la définition du lanceur d’alerte ». Pour prouver que Mathieu Debauchez n’a pas été viré à cause de la dénonciation pour des faits de corruption, l’avocat dresse surtout un portrait du toubib peu flatteur. 

Selon lui, seul l’argent l’intéresse. « Cette affaire n’a rien à voir avec un lanceur d’alerte, c’est un conflit de personnes. Le docteur Debauchez a mis un foutoir dans son service. Il n’a pas supporté d’être dépassé par la technologie et que d’autres se fassent plus d’argent que lui », affirme Maître Yon. Les autres, c’est par exemple le Docteur Caussin, celui-même qu’accuse Mathieu Debauchez. 

La présidente tente alors de recadrer le débat qu’elle juge hors sujet surtout que les vingt minutes accordées ont été largement explosées par Maître Yon. « Le docteur Debauchez a été viré pour comportement inapproprié. Vous pouvez nous expliquer ce qu’est le comportement inapproprié ? », demande-t-elle. 

« Dans le dossier, j’ai les attestations de 13 praticiens qui depuis avril 2020, n’en peuvent plus du comportement du docteur Debauchez. Tous ont exprimé une souffrance au travail », répond, déterminé, Maître Yon. 

C’est au tour de Laëtitia Brahami, avocate du Défenseure des Droits. Elle commence sa plaidoirie en rappelant d’emblée la neutralité et l’intérêt collectif de sa mission, avant d’offrir à la cour une toute autre définition du lanceur d’alerte avancée par son confrère quelques minutes plus tôt. « Au vu des éléments, Mathieu Debauchez bénéficie bien du statut de lanceur d’alerte », soutient l’avocate. Surtout, l’avocate insiste sur le contenu de la lettre de licenciement. « Dans ce courrier il est dit clairement que le docteur Debauchez a été licencié pour avoir dénoncé des faits de corruption », pointe la juriste, taclant au passage l’IMM pour avoir « fait obstacle au travail «du défenseur des droits en refusant de communiquer des éléments ». 

La Cour a des questions. Elle demande au docteur Debauchez comment vivrait-il sa réintégration ? « Je n’aurai aucune difficulté à réintégrer l’IMM. Ces 13 attestations de gens qui se plaignent de moi sont tous très proches de la direction de l’IMM, rappelle-t-il. Beaucoup de gens dans mon service me demandent de revenir ». 

Le docteur marque une pause. « Je tiens à rappeler que je n’ai aucun intérêt à faire ce que j’ai fait. Je gagne très bien ma vie, sans doute bien plus que vous tous dans la salle, ose Mathieu Debauchez. Pour arriver à mon poste, je ne peux pas être un dangereux psychopathe. On m’a même proposé de l’argent pour que je quitte en douceur la boîte », dénonce Mathieu Debauchez. Des propos qui suscitent l’indignation chez la partie adverse. La tension est à son comble. 

La présidente demande le calme avant de s’adresser à tout le monde. « Ne vous inquiétez pas, on saura faire la part des choses, puisque tous les éléments de toutes les parties sont dans le dossier », conclut-elle. 

Le délibéré sera rendu le 12 décembre prochain.

 

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