Yémen : « Pire catastrophe humanitaire mondiale depuis 1945 »

 Yémen : « Pire catastrophe humanitaire mondiale depuis 1945 »

crédit photos : Florian Seriex pour Action contre la Faim


Le pays, détruit par 5 ans de guerre, a annoncé son 1er cas de COVID-19. De son côté, l'Arabie a déclaré un cessez-le-feu unilatérai de 15 jours. Jon Cunliffe, directeur régional des opérations au Moyen-Orient d'Action contre la Faim et Sarah Chauvin, responsable desk à Médecins du Monde, lancent l'alerte pour 24 millions de personnes en besoin humanitaire. La pandémie, le blocus et la fermeture des frontières des pays par lequel passe l'aide risque fort de créer "la pire catastrophe humanitaire mondiale depuis la seconde guerre mondiale." 


L'Arabie Saoudite a annoncé un cessez-le-feu unilatéral de 15 jours au Yémen. Qu'est ce que cela signifie sur le terrain ?


Sarah Chauvin : Nous sommes contents qu’il y ait une annonce de cessez-le-feu. On espère que cela va améliorer l’accès aux populations. Ca nous donne de l’espoir pour une résolution du conflit, même si les contraintes d’aide humanitaire restent très présentes.


Jon Cunliffe : Dans le court terme, cela signifie peu de choses. Il ne reste que quelques conflits localisés. L'effet immédiat est d'avoir moins de frappes pour la population qui en a grandement besoin. Plus que le cessez-le-feu, ils ont besoin de l'arrêt du blocus imposé par l'Arabie Saoudite. Le cessez-le-feu n'est que la « première étape » (comme l’ont précisé 59 ONG, ndlr).



@Florian Seriex pour Action contre la faim


 


Est ce que les ONG bénéficient d’un couloir humanitaire pour apporter de l'aide au Yémen ?


Sarah Chauvin : Avant le début de l’épidémie de COVID-19, on avait des contraintes fortes, liées au blocus, à des lourdeurs administratives et à des difficultés d’acheminement. La situation s’aggrave avec la fermeture des pays tiers (Jordanie, Djibouti) qui aidaient jusqu’à présent, à l’acheminement de l’aide humanitaire. Ces options ne sont plus viables, pour le moment. On fait remonter l’information qu’il faut d’autres voies de passage. La seule option qu’il nous reste en attendant, est le marché local qui est saturé. Mais ce n'est pas viable quand on sait qu’un thermomètre, sur le marché d’Aden ou de Sanaa, coûte plusieurs centaines de dollars.


Jon Cunliffe : Malgré le blocus, nous avons toujours réussi à acheminer un minimum d'aide, par le port d'Hodaida ou par la ville d'Aden. Quelque soit l'aide ou l'assistance que l'ONU ou les ONG peuvent apporter en ce moment, ce ne sera pas assez pour répondre à l'effet que la guerre a fait subir au pays. De plus, le blocus ne permet pas de ramener suffisamment pour le reste de la population.


 


Dans quel état est la population yéménite en ce moment ?


Sarah Chauvin : Seulement 50% des structures de santé sont encore fonctionnelles. Il y a des risques épidémiques très forts, dont le choléra qui va monter avec la saison des pluies.


Jon Cunliffe : Pour vous donner une idée très simple, on estime à 400 000 enfants en situation de détresse alimentaire et à près de 1,7 à 2 millions d'enfants en situation de malnutrition. En tout,  près de 85% de la population (24 millions de personnes, ndlr), a besoin d’aide humanitaire, que ce soit en termes de nourriture, d'approvisionnement en eau ou de soins médicaux.



@Florian Seriex pour Action contre la faim


 


Le système médical est inopérant depuis plusieurs années au Yémen. Le pays vient d'annoncer son premier cas de COVID-19. Quelles sont les ressources à leur disposition pour faire face à la pandémie ?


Sarah Chauvin : On redoute tous le pire avec l’épidémie de coronavirus, qu’on a du mal à estimer aujourd’hui. On sait que les conditions sanitaires ne permettront pas de mesures d’isolement. N’oublions pas que le pays est en plus divisé en deux et qu’au Nord, la situation s’aggrave à cause du blocus. De plus, les aéroports au Yémen sont fermés et il faut savoir que par bateau, qui est la seule option, ca prend plusieurs semaines. Ils ont très peu de ressources. Ils vont avoir d’une aide extérieure. L’OMS et l’ONU tentent d’y travailler en ce moment.


Jon Cunliffe : La guerre au Yémen dure depuis 5 longues années. C'était déjà le pays le plus pauvre dans la région. La capacité médicale est presque à l'arrêt au moment où je vous parle… Si vous pensez à la situation que nous vivons en France et dans de nombreux pays dans le monde, il y a tout de même des systèmes hospitaliers et médicaux qui permettent de ne pas contaminer les autres patients ou le personnel soignant. Ca n'existe pas au Yémen ! J'étais sur place en février. Je suis infirmier et je suis allé sur plusieurs terrains difficiles dans le monde dans ma vie. Je n’ai jamais vu ça ! Si le Covid-19 se développe au Yémen, il est certain que ce sera la pire catastrophe humanitaire mondiale depuis la seconde guerre mondiale.


 


Que pouvons-nous faire pour améliorer la situation ?


Sarah Chauvin : Il nous faut soutenir le plaidoyer en faveur de l’arrêt du blocus pour permettre l’arrivée de matériel. Le gouvernement français peut avoir une voix dans ses négociations. Quand on réussira à dépasser la pandémie dans notre pays, il faudra être solidaire avec ce pays. Pour le Yémen, le pire reste à venir.


John Cunliffe : Nous avons une responsabilité immense dans ce qu'il se passe sur place. Nous sommes impliqués en tant que pays occidentaux dans ce conflit. Si celui-ci a duré aussi longtemps, c'est parce que nous avons vendu énormément d'armement. Prenez mon pays, la Grande-Bretagne. Elle est passée de la 5ème place des vendeurs d'armes dans le monde à la 2ème place, grâce notamment aux ventes que nous avons fait à l'Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis. Nous devons mettre une pression significative sur nos gouvernements pour qu'ils arrêtent de vendre des armes aux belligérants. Ils doivent nous aider à avoir accès à la population, à rompre le blocus et à autoriser les largages aériens. On a aussi besoin d’argent pour agir. Le Yémen est un conflit "oublié". Je n’ose même pas imaginer le nombre de morts que nous aurons si nous n’agissons pas.


 


Vous pouvez aider les programmes de Médecins du Monde ou d'Action contre la Faim au Yémen sur les liens suivants.


Pour la version anglaise : Yemen : "World's worst humanitarian disaster since WWII"


Voir aussi :


Yémen : l’équivalent de la population belge risque d’être en état de famine


Des femmes yéménites témoignent de la situation


Connaissez-vous vraiment le Yémen ?