Sénateur Paul Gavan (Irlande) : « Israël est un Etat où règne l’apartheid »
Sénateur de Limerick, et membre du Sinn Féin, deuxième parti politique d’Irlande, Paul Gavan revient pour nous sur la décision du Sénat irlandais d’interdire l’importation de produits israéliens depuis les territoires occupés. Le sénateur ne mâche pas ses mots et il convient « moralement » de ne pas accepter l’occupation israélienne en Palestine.
Pourquoi avez-vous voté la loi sur l’interdiction d’importation des produits israéliens depuis les territoires occupés ?
La loi a été portée par la sénatrice indépendante Frances Black. J’ai eu l’impression que de nombreuses personnes au Sénat ont senti que cette loi avait une grande portée et qu’il fallait apporter un appui fort contre la répression féroce qui est en cours dans les territoires palestiniens.
En effet, bien que portée par une indépendante, la loi a bénéficié d’un large consensus de votes ?
En effet, tous les partis ont voté pour la loi, que ce soit les indépendants, le Sinn Fein ou d’autres partis à l’exception du Finn Gael (parti de droite au pouvoir en Irlande, ndlr). Il y a eu une grande majorité de soutiens pour cette loi et une part importante doit revenir à la sénatrice Frances Black qui défendait le dossier. Elle a réussi, avec brio, à construire cette coalition. Bien sûr, mon parti, le Sinn Féin, est heureux d’avoir contribué à la faire passer
En quoi cette loi est-elle importante pour le Proche-Orient ?
Je pense que ça peut aider à la construction d’une solution à deux Etats. La loi doit repartir au Parlement mais c’est un signe fort. On touche à un point essentiel avec cette loi. Le message est que l’on ne peut accepter de faire du commerce avec des compagnies israéliennes qui sont situés dans les territoires occupés. Il faut saisir que l’occupation constitue une entrave et que ce n’est pas acceptable moralement de continuer à commercer comme si de rien n’était, comme si Israël était un état normal. Ce n’est pas un Etat normal. Israël est un Etat où règne l’apartheid. Si l’on parle d’apartheid, mes collègues du Sinn Fein et moi, c’est que nous savons, par l’histoire, ce qu’il s’est passé en Afrique du Sud. On est conscient que se battre sur le terrain économique peut faire reculer l’apartheid. C’est un geste important et nous espérons que le monde entier va prendre des mesures similaires pour empêcher tout commerce avec les compagnies israéliennes qui sont dans les territoires palestiniens.
Faut’il comprendre cette loi comme faisant partie du mouvement BDS ?
Ce n’est pas lié au BDS. Le BDS a des soutiens dans mon parti mais cette loi n’est pas en lien avec le boycott. Nous souhaitons rompre de manière affirmée, les relations économiques avec des sociétés israéliennes qui sont sur des territoires occupées
L’Irlande fait figure d’exception dans le paysage européen pour la défense des Palestiniens. Pourquoi êtes-vous en pointe sur ce domaine ?
C’est simple. Nous autres irlandais, comprenons le sens du mot « occupation ». Nous avons des relations fraternelles avec les Palestiniens et ce, depuis des décennies. J’ai visité, il y a deux ans la Palestine. J’ai été très choqué par la manière dont étaient traités les Palestiniens et l’étouffement à tous niveaux dont ils font l’objet. Je pense que les Irlandais comprennent, de manière instinctive, presque dans leurs chairs, les mesures qui sont en cours. Je ne suis pas le seul à m’y être rendu. De nombreux politiques irlandais ont visité la Palestine pour comprendre ce qui se passe sur le terrain et la manière dont les Palestiniens sont traités par les forces d’occupation israéliennes. Quand ils reviennent en Irlande, ils nous l’expliquent. C’est, à partir de ce jugement de terrain que nous arrivons à avoir des positions claires sur ce qu’il se passe là-bas. De plus, les restrictions, les check points et les mesures d’obstruction de la force d’occupation sont des choses que les Irlandais ont vécu et donc comprennent bien.
D’où vient ce soutien inconditionnel Irlandais à la cause Palestinienne ?
On ne peut nier que notre histoire joue un rôle important dans ce que nous sommes. Nous avons connu une situation similaire avec la Grande Bretagne. Il est facile dés lors de faire le parallèle avec ce qu’il se passe au Proche-Orient. Nous savons ce que signifie le fait d’être colonisé et occupé. De plus, il est indéniable que nous avons de l’empathie avec ce que vit le peuple palestinien.
Pensez-vous que c’est dû au rôle important de l’église catholique irlandaise ?
Non, je ne pense pas. Les positions sont plus transversales et dépassent le cadre religieux. Elles sont très diverses allant des laïcs aux religieux. Il faut juste comprendre que nous savons ce que signifie la « libération nationale » d’un pays. Nous sommes pour l’autodétermination des peuples et c’est une chose importante pour nous. Nous reconnaissons bien sûr les droits humains mais également les droits de chacun de vivre librement et de gérer leurs vies politiquement, économiquement, socialement. Ce qu’il se passe en Palestine, et ce depuis des décennies, est clairement inacceptable.
L’Irlande paraît pourtant isolée en Europe sur la défense des Palestiniens. Comment l’expliquez-vous ?
Nous espérons que l’Europe va suivre notre exemple. L’Union Européenne est responsable de ne pas agir, compte tenu de ce qu’il se passe en Palestine. Je ne parle pas pour les autres mais nous pensons que ce genre de loi devrait aussi être porté au Parlement Européen. C’est inacceptable de continuer à commercer avec les territoires occupés. Nous ne pouvons pas faire comme si Israël était un pays normal alors que c’est un Etat où règne l’apartheid. Nous ne pouvons pas continuer cette hypocrisie qui consiste à dire que tout est ok ! Ce n’est pas ok ! C’est moralement répréhensible de continuer de commercer avec Israël ou d’acheter des produits venant de ce pays.
N’avez vous pas peur des critiques israéliennes par rapport à votre pays ?
Non, nous n’avons pas peur ! Il faut saisir que les politiques font des choses qui sont justes. Aujourd’hui, si l’on veut être juste, il faut mettre la pression sur Israël, lui demander de cesser de pratiquer l’apartheid et de demander au monde entier de prendre des mesures. J’aimerais rappeler que ce sont les mesures économiques dans les années 80 qui ont eu raison du régime d’apartheid qui existait en Afrique du Sud. Espérons que la loi de Frances Black puisse être une première étape pour que d’autres nations prennent les mesures nécessaires et pour bloquer l’occupation israélienne en Palestine.
Voir aussi :
L'Irlande, meilleur avocat européen de la Palestine ?