Proche-Orient : Quel acteur régional pour un cessez-le-feu ?
Le docteur en sciences politiques et spécialistes des relations internationales, Sébastien Boussois revient sur les acteurs régionaux qui pourraient apporter un cessez-le-feu entre Israël et Gaza
Une tribune de Sébastien Boussois
Une fois l’émotion du drame passée en Israël, le cycle d’attaques et de représailles apuré à Gaza, avec tout son nouveau lot de morts, il faudra revenir à la table des négociations entre les parties adverses israélienne et palestinienne et se projeter politiquement en vue de parvenir à un cessez-le-feu. S’il n’y a aucune solution politique durable qui émergera de la pire attaque qu’Israël a connu depuis des décennies et à sa riposte de la part du gouvernement de Netanyahou, suite à la mort de près de 900 personnes en Israël en 48 heures et 700 du côté palestinien, il y aura une fois encore une solution temporaire « qui dure » qui sera adoptée, pour éviter que les Israéliens et les Palestiniens de Gaza, qui ne sont pas tous affiliés au Hamas, ne paient un prix encore plus lourd en vengeance de l’opération menée par le groupe islamiste le 7 octobre dernier. Et pour éviter le cycle sans fin de violence qui caractérise tant l’espace israélo-palestinien depuis plus de sept décennies.
Les Etats-Unis et l’UE hors jeu
Qui peut contribuer à faire cesser le bruit des armes pour remettre en selle la diplomatie au Moyen-Orient ? Dans un contexte géopolitique général où les grandes puissances occidentales sont de plus en plus marginalisées pour apporter la paix, comme les grandes organisations internationales censées faire respecter le droit international hélas, ce sont surtout les puissances régionales qui depuis plusieurs années, reprennent la main sur leur zone d’influence ou mettent en avant leur talent de médiateur de paix pour peser dans le concert des nations en crise ou en guerre. En ce qui concerne le conflit entre Israéliens et Palestiniens, les Etats-Unis qui n’ont eu de cesse depuis des années de se désengager des zones de conflit moyen-orientales, ne peuvent pas grand-chose, d’autant que le mandat de Joe Biden, dont la fin approche irrémédiablement, affaiblit encore plus sa capacité d’influence et d’action, si tant est que son administration en ait jamais eu ces trois dernières années. L’Union européenne, embourbée dans la crise ukrainienne, a perdu depuis longtemps sa capacité diplomatique et reste éternellement un nain politique dans la symphonie cacophonique des puissances mondiales.
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Egypte, Turquie, Qatar ?
Il reste donc, et c’est au Moyen-Orient, trois pays qui peuvent parvenir à apporter au plus vite un cessez-le-feu à Gaza. Traditionnellement, l’Égypte qui est en paix avec Israël depuis 1977 et les accords de Camp David, est toujours parvenue ces dernières années, depuis l’arrivée du Président Sissi, à négocier une pause dans les hostilités entre Israël et Gaza. Les relations du Caire avec le mouvement du Hamas sont cordiales et permettent de rapprocher à chaque fois les points de vue avec Tel Aviv. La sécurisation du Sinaï depuis 2013 a rassuré Israël même si Gaza continue à rester une bombe à retardement pour le pays. La Turquie d’Erdogan a un rapport de confiance et d’influence tout désigné avec le Hamas, par l’affiliation idéologique frériste qui les unit, même si Ankara, qui s’est réconcilié il y a quelques temps avec Tel Aviv, n’a pas le même projet de destruction de l’Etat hébreu. C’est ça qui peut lui permettre de jouer un rôle de relais des revendications des uns et des autres pour conduire à un arrêt des hostilités.
Le Qatar a une porte d’entrée à Gaza
L’acteur qui peut probablement le mieux tirer son épingle du jeu, et dans la continuité de ce qu’il fait depuis des années, depuis la corne de l’Afrique en passant par l’Afghanistan, c’est le Qatar, qui a une relation avec Israël, ce qui est déjà ça, un accord avec lui pour financer les salaires des fonctionnaires gazaouis afin d’éviter le chaos depuis des années et le départ de l’Autorité palestinienne dans l’enclave, et le risque d’un renversement pour voir arriver pire que le Hamas, c’est-à-dire le Jihad islamique ou l’Etat islamique. Le leader politique du Hamas, Ismael Haniyeh fait régulièrement des allers retours avec Doha, et cette proximité du Qatar avec ces mouvements islamistes comme les Talibans à l’époque des négociations avec les Américains en 2018, est un atout clé pour Doha. Elle remonte justement au moment où Washington avait demandé à l’Emirat de garder un œil sur ses dirigeants. La base américaine d’Al Oudeid, la plus grande base hors sol des Américains dans la balance, Doha voyait poindre sa capacité un jour de monnayer, pour sa crédibilité sa proximité de fait avec les ennemis de beaucoup, ce « service rendu » et se voir émerger comme médiateur régional de paix incontournable.
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200 israéliens aux mains du Hamas
Là où l’Egypte pourrait dans le cas d’espèce de la guerre actuelle à Gaza jouer à plein son rôle pour l’arrêt des hostilités, le Qatar pourrait rapidement entamer des négociations avec le Hamas pour libérer les otages que le mouvement islamiste détient depuis 48h. C’est la première fois que l’organisation terroriste détient plus de 200 israéliens, des soldats mais aussi des civils dans le petit territoire sous blocus depuis 10 ans, et il compte bien s’en servir comme monnaie d’échange avec Israël, au moins pour se maintenir encore au pouvoir ou obtenir la libération de prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes. Traditionnellement depuis des années, Doha joue les intermédiaires dans les prises d’otage et il est dit, dans les cercles bien informés, que le Qatar est déjà pleinement à l’œuvre. L’heure tourne pour ces jeunes, enlevés lors de la rave party, pour ces enfants, pour ces étrangers, qui ont vu leur vie basculer un matin à l’aube, alors qu’ils étaient venus dans le sud d’Israël pour simplement faire la fête.
D’abord le cessez-le-feu
Il n’y aura pas demain d’Etat palestinien, ni d’arrêt de la colonisation des territoires palestiniens par les colons, ni de retour à une certaine modération d’un gouvernement israélien plus extrême que jamais, mais il y aura un arrêt de la violence et un retour au « statu quo ». Car c’est de l’intérêt de tout le monde : Israël qui gère la question palestinienne ainsi depuis des années, et l’Autorité palestinienne affaissée voir effondrée face aux extrémistes palestiniens, qui n’a plus rien à proposer à sa population pour apporter la paix. Alors, on repartira dans un quotidien fait de frustration, de souffrance, la violence et les morts en moins. Jusqu’à la prochaine. Israël et Gaza, ce sont des relations en dents de scie, les montagnes russes, mais depuis le désengagement de 2005 par Israël, personne dans l’Etat hébreu n’est prêt à réinvestir le territoire pour en reprendre le contrôle dans une guerre fratricide qui apporterait encore son lot de morts et de sang. Tant que les Palestiniens de Cisjordanie n’emboîtent pas le pas au Hamas, c’est la solution la moins inconfortable pour Tel Aviv, un cessez-le-feu. Pas la solution idéale mais la moins pire pour garantir la sécurité des Israéliens pour un temps.