Gaza : un urgentiste devant un « peloton d’exécution »
Le docteur canadien, Tarek Loubani est urgentiste, professeur associé de l’université occidentale de London (Ontario) et membre de l'ONG Glia. Travaillant avec les membres du Croissant Rouge Palestinien à Gaza, il raconte à Democracy Now ce qu’il a vécu lors du massacre de lundi à Gaza, qui a couté la vie de 59 personnes et fait plus de 2000 blessés.
La voix de temps en temps éraillée par l’émotion, le docteur canadien Tarek Loubani témoigne à l’organisation américaine, Democracy Now, des circonstances du terrain. « Je faisais ce pourquoi j’étais formé depuis des années, à savoir le travail d’urgence en zone difficile…J’ai déjà été sur des terrains difficiles en Egypte et ailleurs. Je peux vous dire que j’étais le médecin le plus expérimenté de l’équipe dans des situations difficiles. Il en était de même des ambulanciers qui était, hélas, avec moi ». Le médecin décrit qu’il était à « 25 mètres à l’ouest et au sud des manifestants. J’étais calme. Il n’y avait pas de pneus en feu, pas de pagaille. C’était une zone calme à tel point que l’on voyait les snipers israéliens et je suis sûr qu’ils nous voyaient».
Alors qu’il parle avec l’équipe médicale des mesures à mettre en place, il indique avoir entendu « un grand bang ». Se retrouvant au sol, il réalise « qu’il est touché». Le premier à venir est un « ambulancier excellent qui s’appelait Moussa que j’avais formé. Il m’a dit : « Regardez docteur, ce que vous vous êtes fait ici ? ». Il a vu ma jambe, coupé le pantalon et commencer à me soigner. Il m’a demandé s’il faisait un garrot, ce qui était une bonne question. Nous n’en avions que 8 et j’ai pensé que ce serait mieux pour les autres personnes touchées ».
Il ne veut pas être soigné en priorité car « il y avait tellement de blessés à ce moment là. J’ai été emmené à l’hôpital dans un véhicule où il y avait 6 patients ». Les larmes au bord des yeux, il revient sur l’ambulancier, Moussa qui l’a soigné : « Moussa Abuhassanin était un type merveilleux. Je parle de lui au passé car une heure après m’avoir sauvé, il est retourné sur le terrain des hostilités et a été touché, malheureusement, à la poitrine. Il y avait tellement de tirs autour de lui et autour de ses collègues, qu’ils ne pouvaient pas lui venir en aide. Quand ils ont pu le faire, c’était 20 minutes plus tard et il est décédé d’un pneumothorax (de l’air entre les poumons et la poitrine, ndlr). Ca n’aurait pas dû le tuer ! Je savais comment le soigner. Si j’avais été là, je lui aurais bouché le trou avec un stylo BIC et il aurait été soigné ensuite. »
« J’ai du mal à croire qu’ils ne savaient pas qui nous étions »
La voix pleine de regrets et s’essuyant les yeux pleins de larmes, Tarek revient sur ce qui l’a le plus choqué : « Nous sommes les premiers à faire en sorte de ne pas nous mettre dans une situation de danger. Nous sommes incroyablement prudents. Nous portons des jaquettes orange, très visibles, qui appartiennent au Comité Internationale de la Croix Rouge (CICR). J’étais en tenue verte de médecin. »
A la question posée par la présentatrice de Democracy Now, Amy Goodman (« Avez vous été visé exprès par les forces israéliennes ? »), le médecin souhaite être le plus clair possible : « Je n’ai pas la réponse à cette question. Je ne connais pas les ordres que les soldats israéliens ont reçu ou ce qu’ils se passent dans leurs têtes. Donc, je ne peux vous dire s’ils l’ont fait exprès. Ce que je peux vous dire, c’est ce que je sais. En six semaines de manifestations, il n’y a eu aucun incident concernant le personnel hospitalier. En un jour, 19 personnes des services d’urgence ont été tuées ou blessées par des tirs de balles réelles. Il y avait une accalmie, pas de fumée, pas de pagaille et nous avons été touchées par des balles réelles, pour la plupart du temps dans les parties basses du corps. Aussi, j’ai vraiment beaucoup, beaucoup de mal à croire que les Israéliens qui nous tiraient dessus, ne savaient pas qui nous étions et ce que nous faisions ».
Un témoignage fort et poignant qui rejoint ceux de nombreuses personnes sur place. Reporters Sans Frontières (RSF) et Amnesty International ont parlé de la journée de lundi comme d’un crime de guerre et souhaite porter plainte contre l’état israélien, auprès de la Cour Pénale Internationale (CPI).
Témoignage complet de Tarek Loubani, ici