En Palestine, le droit au retour menacé

 En Palestine, le droit au retour menacé

crédit photo : Gulshan Khan / AFP


Le 70e anniversaire de la création de l’Etat d’Israël a remis en lumière la question des réfugiés palestiniens. En réprimant violemment la “marche du grand retour”, le 14 mai dernier, Israël a confirmé qu’il souhaitait en finir avec cet encombrant “droit au retour”. En dépit des textes qui le rendent inaliénable. 


Une journée qui restera dans l’histoire. Le 14 mai, au moment même où un aréopage de dignitaires américains et israéliens (dont la fille de Donald Trump) posait la “première pierre” de la future ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, des dizaines de Palestiniens désarmés se faisaient massacrer par l’armée israélienne à quelques kilomètres de là, dans la bande de Gaza. Bilan : 58 morts (le chiffre montera à plus de 60 les jours suivants), et environ 2 400 blessés, dont plus de 1 300 par balles.


En cette veille de commémoration du 70e anniversaire de la Nakba – la “catastrophe”, désignant l’exode, en 1948, de dizaines de milliers de Palestiniens chassés de leurs terres par les forces israéliennes – c’est dans le sang que s’achève une symbolique “marche du grand retour” entamée le 30 mars précédent et au cours de laquelle 54 personnes avaient déjà été tuées par les soldats israéliens.


Plus de 100 victimes civiles sont tombées en moins de deux mois. Et pas l’ombre d’un début de mesure de rétorsion de la part des puissances occidentales, ce qui ne fait que confirmer l’impunité totale dont jouit Tel-Aviv. Rien de nouveau de ce côté-là. Mais le double contexte dans lequel ces Palestiniens ont été tués (anniversaire de la Nakba et “marche du grand retour”) confirme autre chose, moins commenté : le refus absolu des dirigeants d’Israël d’envisager le simple droit au retour des réfugiés palestiniens.


 


Le “nettoyage ethnique”


Quel est ce “droit au retour” qui fait si peur à Israël ? Il s’ancre dans la période 1947-1949, au moment où prend fin le mandat colonial britannique sur la terre de Palestine. Le plan de partage de l’ONU du 29 novembre 1947 et la proclamation de l’Etat d’Israël, le 14 mai 1948, sont les deux dates marquantes d’une séquence au cours de laquelle environ 800 000 Palestiniens, soit 65 % de la population à l’époque, vont être poussés hors de chez eux d’abord par les milices sionistes, puis par l’armée israélienne. Emaillé de massacres, tels que celui survenu dans le village de Deir Yassin les 9 et 10 avril 1948 (254 victimes), ce processus d’expulsion et de dépossession va contraindre les Palestiniens chassés de leurs terres à s’installer dans des camps à Gaza, en Cisjordanie et dans les pays frontaliers, en Jordanie, Egypte, Liban et Syrie, notamment. Durant cet épisode, près de 15 000 Palestiniens sont tués, et plus de 500 villages rasés. Dans les années 1990, les nouveaux historiens israéliens eux-mêmes emploieront le terme de “nettoyage ethnique” pour qualifier la période.


 


Huit millions de réfugiés


Face à cette situation, l’Assemblée générale de la nouvelle ONU adopte, le 11 décembre 1948, la résolution 194, dont le chapitre 11 “décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé (…)”


Un an plus tard, le 8 décembre 1949, l’ONU adopte une autre résolution, la 302, qui crée l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency), agence spécifiquement dédiée à “l’assistance aux réfugiés palestiniens”. Celle-ci intervient depuis soixante-dix ans dans les camps de réfugiés palestiniens pour y assurer les services d’éducation et de soin. Qui est réfugié ? “Toute personne dont le lieu habituel de résidence était la Palestine entre juin 1946 et mai 1948 et qui a perdu son habitation et ses moyens d’existence au cours du conflit israélo-arabe de 1948.” Ainsi que tous les descendants de ces personnes. Les réfugiés palestiniens sont aujourd’hui environ 8 millions, dont 1,1 million après la guerre de 1967 (1).


Les gouvernements israéliens successifs ont toujours rejeté la résolution 194 et entravé, tant que faire se pouvait, le fonctionnement de l’UNRWA. Début 2018, Benyamin Netanyahou a cependant franchi un seuil supplémentaire. Le 7 janvier, il livrait cette appréciation très personnelle de l’agence : “Une organisation qui perpétue le problème des réfugiés palestiniens. Elle perpétue également l’histoire du droit au retour pour les Palestiniens, dont l’objectif est en fait l’élimination de l’Etat d’Israël.” Estimant que l’agence fait “partie du passé”, le Premier ministre israélien veut qu’elle ferme : “(…) il y a des arrière-petits-enfants de réfugiés, qui ne sont pas des réfugiés, mais qui sont aidés par cette organisation. Et soixante-dix années de plus passeront et il y aura encore des arrière-arrière-petits-enfants. Donc cette situation absurde doit cesser.”


 


Les Etats-Unis s’en vont, le Qatar arrive


Cinq jours auparavant, Donald Trump avait menacé, dans un tweet, de couper l’aide financière aux Palestiniens. Une menace en partie mise à exécution le 17 janvier avec l’annonce de la retenue de 65 millions de dollars (55 millions d’euros) sur les 125 initialement promis par les Etats-Unis à l’UNRWA. Une coupe claire fragilisant “l’un des projets les plus efficaces et les plus innovants pour le développement humain au Moyen-Orient”, avait alors regretté le suisse Pierre Krähenbühl, qui dirige l’agence depuis mars 2014. Le budget annuel global de l’organisation avoisine le milliard de dollars (850 000 euros). Entre autres résultats de cette décision américaine, le Qatar a promis, début avril, lors d’une conférence à Rome, qu’il verserait 50 millions de dollars (42,3 millions d’euros) à l’agence onusienne, s’avançant ainsi en généreux donateur sur la scène internationale.


 


Un droit “inaliénable”


En quelques années, le peuple palestinien a assisté à la quasi-disparition de la perspective d’une solution à deux Etats, à l’accroissement continu de la colonisation des terres de Cisjordanie, au transfert de l’ambassade de la première puissance mondiale à Jérusalem. Doit-il désormais se résoudre à voir ses réfugiés privés de statut ? “Il est évident que nous sommes face à une stratégie américaine et israélienne visant à supprimer le droit au retour, estime Imen Habib, l’une des responsables de BDS France (2). La déclaration de Netanyahou et les attaques régulières contre l’UNRWA sont claires : ils veulent définitivement évacuer cette question du débat. Sauf que les textes internationaux et la résolution 194 rappellent que le droit au retour est inaliénable.”


Une réalité juridique dont Israël a rappelé le 14 mai qu’il la considérait avec le même mépris que celui qu’il réserve à l’ensemble des résolutions internationales. Avec, toujours, la bénédiction de son parrain américain : ce jour-là, tandis que les morts tombaient à Gaza, Donald Trump dégainait une fois encore un tweet indécent : “C’est un grand jour pour Israël.” 


(1) Lire le document “Les réfugiés palestiniens en 2018” de la plateforme des ONG françaises pour la Palestine.


(2) Le mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) a été lancé en 2005 par des ONG palestiniennes pour obliger le gouvernement israélien à respecter le droit international et les résolutions des Nations unies.