Arabie Saoudite – Que se passe-t-il chez les Salmane ?
Que d’hypocrisies ! L’accueil fait par le Canada à la jeune Saoudienne Rahaf Mohammed Al-Qunun, « fuyant sa famille qui la maltraitait », et la réaction du royaume wahhabite qui considère officiellement « le geste du gouvernement canadien comme un véritable affront » est un véritable crachat au visage de milliers de Yéménites tués, de leurs enfants agonisant et de celui de dizaines de militants de droits de l’homme et de dignitaires religieux saoudiens qui sont jetés au quotidien dans les geôles du nouveau maître de Riyad.
Comme si les petites crises d’adolescence d’une petite enfant de la bourgeoisie saoudienne étaient plus importantes que le destin d’un pays retourné dans la préhistoire par la grâce des folies bergères du prince noir.
Dans la même foulée, le soin pris par le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo à ne pas froisser les Saoudiens par un numéro d'équilibriste au cours de sa visite en Arabie saoudite a quelque chose de nauséabond.
Tout cela avec la bénédiction de Netanyahou qui se sent désormais investi de la délicate mission de sauver ses amis saoudiens de la déchéance internationale.
Jamais la politique n’a senti aussi mauvais. Pourtant, le corps du journaliste Jamal Khashoggi n’a pas encore refroidi, et le principal commanditaire est tout sourire devant les caméras tout ébaubies des télévisions occidentales.
On passera sur les détails de ce meurtre à la tronçonneuse bien qu’au cours du Forum de Doha, au Qatar, le 16 décembre, Mevlut Çavusoglu, ministre turc des Affaires étrangères, nous avait décrit minutieusement le découpage en morceaux de Jamal Khashoggi. Vassili Grossman explique bien dans Vie et Destin qu’un individu détruit, c’est le monde qui disparaît, mais ça, c’est une autre histoire.
Si Trump and co tentent désespérément de créditer la thèse de la bavure, il faut savoir au contraire que le pourvoir de Ben Salmane se nourrit de la haine. « Dis moi qui tu hais, je te dirai qui tu es », MBS a la haine de tous sauf de ses maîtres du monde.
Tandis qu’il embastille à tour de bras ses coreligionnaires et qu’il rançonne ses propres cousins, le trentenaire est tout sourire avec le gendre du président américain, Jared Kushner, qui est vite devenu son conseiller pour le Moyen-Orient, avec à la clé un contrat de plusieurs millions de dollars. Depuis, MBS n’hésite pas à se prendre en selfie (suprême sacrilège) dans la mosquée du prophète avec son nouvel ami.
C’est d’ailleurs grâce à cette solide amitié, que les Saoudiens ont acquis pour 55 millions de dollars, auprès de la société israélienne NSO, un logiciel permettant de suivre tout le contenu de n’importe quel téléphone portable et d’activer à la demande l’enregistreur ou la cellule vidéo. Résultat, véritables opposants au régime ou simples citoyens ayant émis une opinion critique sont voués aux pires tourments. Sans oublier une propagande qui ferait rougir de jalousie un Goebbels où MBS apparaît une fois comme le messie et une autre fois comme une idole des jeunes, l’incarnation même de la modernité occidentale d’où cette lune de miel indécente entre MBS et l’Occident.
Quant à la liberté d’expression, il suffit de rappeler le blackout sur l’invasion de cafards et de sauterelles qui s’est abattue sur l’enceinte de la Mosquée sacrée à la Mecque la semaine dernière, imposé par le régime qui a interdit le moindre commentaire et encore la moindre photo sur ce que les pèlerins considèrent comme une punition du Ciel, pour comprendre la nature de ce despotisme.
Au moment où il faudrait prendre le régime saoudien pour ce qu’il est réellement : une monarchie moyenâgeuse où les décapitations au sabre se pratiquent toujours sur les pauvres hères alors que le wahhabisme constitue toujours et plus que jamais le socle idéologique du terrorisme djihadiste ! Quand au Yémen, bien que pays béni, autrefois surnommé l’Arabie Heureuse, est plongé dans la mort, la famine, les épidémies et la désolation.
Conclusion : si les Wahhabites d’hier ont plombé le monde arabe en le plongeant dans les ténèbres de l’ignorance, MBS a fait mieux, il a offert aux ennemis de l’Islam le cynisme, le silence, la complaisance et la résignation de tous les autres chefs d’Etats arabes.Trop contents d’avoir jusqu’à présent échappé au fameux adage arabe : « quand tu vois ton frère se faire raser les cheveux, mouille ta tête ».