Procès en appel de France Télévisions : Wafa Dahman espère une condamnation pour harcèlement 

 Procès en appel de France Télévisions : Wafa Dahman espère une condamnation pour harcèlement 

Wafa Dahman : 400 CDD avec France Télévisions en 10 ans, puis éjectée… Photo : DR

Originaire de Lyon, Wafa Dahman est journaliste. Pendant dix ans, elle a travaillé pour France 3, parcourant une bonne partie de l’Hexagone, d’hôtel en hôtel, courant après des remplacements, parfois pour une toute petite journée de boulot. Engagée de 2004 à 2014 dans 38 bureaux de France 3, elle a accumulé près de 400 contrats, avant d’être évincée de la télévision publique.

 

En plus des Prud’hommes, elle a porté plainte au pénal contre la présidente de France Télévisions et du directeur des ressources humaines pour « discrimination, harcèlement et abus de CDD ». En mars 2018, en première instance, France Télévisions est condamnée pour abus de CDD, relaxée pour les deux autres chefs d’accusation. Une décision qui n’a pas plu à la chaine publique qui a décidé de faire appel. Ce lundi 5 octobre, le procès se rejoue donc de nouveau devant la cour d’appel de Paris.

LCDL : Depuis huit ans maintenant, vous vous battez contre France Télévisions. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? 

Wafa Dahman : Honnêtement, je suis épuisée psychologiquement. Je ne pensais pas que cela serait si difficile. Au début, en 2013, nous étions trois à saisir les Prudhommes en même temps. Nous avons obtenu la même décision du tribunal et je suis la seule aujourd’hui à avoir été écartée de France Télévisions. Je suis heureuse pour eux, mais c’est tellement injuste. Depuis 8 ans, je me bats contre cette injustice en dénonçant l’abus de CDD la discrimination et le harcèlement.

Vous avez travaillé 10 ans à France 3. Vous dites avoir été discriminée et harcelée par vos anciens employeurs…

Oui. La discrimination est la blessure la plus terrible que l’on puisse vivre. Elle est dure à accepter. Durant ces 10 ans de collaboration à France Télévisions, j’ai plusieurs fois entendu des propos racistes, les « bamboulas » pour parler des noirs par exemple. Personne ne réagissait, moi-même j’ai laissé faire.

De 2005 à 2006, chaque semaine j’avais un à deux sujets à traiter sur les banlieues, l’islam, l’immigration… Quand j’ai demandé à présenter le journal régional à Lyon, on m’a répondu que j’étais trop communautaire.

J’ai supporté les remarques sexistes, voire pornographiques, comme ce fut le cas à Orléans, où la rédaction en chef sélectionnait les femmes journalistes qui seraient recrutées en fonction de leur tour de poitrine. En 2012, certains ont été condamnés pour harcèlement sexuel.

Mais la goutte qui a fait déborder le vase a été les insultes d’un « collègue » lors d’un reportage : « Tu t’es regardée ? Tu as vu qui tu es ? Tu n’as rien à faire parmi nous », m’a-t-il balancé à la figure. J’étais tétanisée par tant de haine, incapable de répondre, ma seule angoisse était de ne pas pleurer devant lui.

J’ai demandé au rédacteur en chef de convoquer ce journaliste afin qu’il me présente des excuses. Rien de tout ça, pire, il a obtenu une promotion et est devenu rédacteur en chef, et moi, j’ai été exclue !

Avez-vous essayé d’en parler « plus haut » ? 

Bien sûr. Après avoir lutté pendant plusieurs mois pour avoir des explications, j’ai saisi la RH nationale à Paris. Elle s’est engagée par écrit à convoquer le rédacteur en chef et le journaliste, mais au final, ils n’ont rien fait.

Vous dénoncez également l’abus de CDD…

Effectivement. J’ai eu plus de 400 CDD ce qui équivaut à 1 800 jours travaillés dans 38 bureaux en 10 ans. A plusieurs reprises, j’ai travaillé sans contrats de travail. Le code du travail est pourtant clair : le 3eme contrat doit être un CDI. Mais France Télévisions se moque du code du travail. La chaîne publique ne respecte pas la loi.

France Télévisions est régulièrement poursuivie devant les prud’hommes, rarement au pénal…

Oui. Personne n’a le courage d’aller au pénal pour les faire condamner. Les journalistes se contentent des prud’hommes. J’ai voulu faire condamner ceux qui ont mis en place ce système à France télé, c’est-à-dire le DRH. Cela lui a valu une condamnation en première instance, ainsi que l’entreprise comme personne morale pour abus de CDD. C’est une première qui fait jurisprudence. Ils ont d’ailleurs fait appel de cette décision. Et ce n’est pas un hasard…

Qu’attendez-vous de ce procès en appel ? 

Cette audience est importante. J’attends des juges qu’ils aient le courage de mettre fin à un système qui maintient dans la précarité des centaines de journalistes. Je veux que la justice condamne la discrimination dont j’ai été victime. Je veux une reconnaissance du harcèlement que j’ai subi.

Huit ans de combat judiciaire, ça laisse des traces. Je veux juste une réparation par la reconnaissance des juges qu’aucune entreprise n’est au-dessus de la loi et au-dessus du droit. Rien de plus.

 

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