Tunisie. Don d’ubiquité présidentiel et mauvaise gouvernance

 Tunisie. Don d’ubiquité présidentiel et mauvaise gouvernance

Une banale levée de barrières de sécurité autour d’un ministère nécessite-t-elle qu’un président de la République se déplace en personne et médiatise le tout ? Si la suppression d’un dispositif qui a entravé durant des années la circulation dans une artère principale du centre-ville de Tunis est dans l’absolu salutaire, la hiérarchie des priorités présidentielles a de quoi surprendre.

 

En ce lendemain de 20 mars, 68ème anniversaire de l’indépendance, force est de constater que le président Kais Saïed continue de ne pas célébrer le calendrier des fêtes nationales du pays, des dates certes à connotation bourguibistes mais constitutives de l’identité de l’Etat moderne tunisien. Aucune apparition et encore moins une allocution, contrairement à ses prédécesseurs. La page officielle du Palais de Carthage s’est ainsi contentée d’un simple post Facebook annonçant la décision du chef de l’Etat de gracier 1467 prisonniers, ce qui résulte en la libération de 483 détenus, et en une remise de peine pour les autres.

 

Grossières mises en scène et dérive électoraliste

Pour l’opposition, « c’était pourtant une occasion en or de libérer les prisonniers politiques et de réaliser une entame d’ouverture politique sérieuse, en vain ». La veille du 20 mars, à défaut de commémorer la libération du pays, le président Saïed a donc préféré libérer une parcelle de route. La trivialité de l’opération digne d’une petite municipalité est aujourd’hui critiquée par de nombreux observateurs.

Certains dénoncent des mises en scène irresponsables et coûteuses en cortèges de sécurité, synonymes de mauvaise gouvernance : « En temps de crise économique et sociale, un président de la République n’a-t-il pas mieux à faire que de perdre une demi-journée à documenter la suppression de barrières métalliques aux abords du ministère de l’Intérieur ? », s’interroge notamment l’éditorialiste Mohamed Boughalleb, qui déplore une politique spectacle d’un président en campagne électorale précoce et permanente.

« Loin d’être un acquis à mettre son actif, un dispositif provisoire supprimé des années post menace terroriste devrait être un motif d’embarras, révélateur de la frilosité ambiante des dirigeants locaux qui n’ose plus rien entreprendre », ajoute-t-il, lassé des sempiternelles photographies du président embrassant des enfants. Dans la vidéo publiée par la communication présidentielle, on a aussi choisi de grader au montage la tentative d’un agent municipal de faire un baisemain royal à Kais Saïed, et l’humilité filmée avec laquelle celui-ci s’y refuse.

Pendant que le président continue son show de pré-campagne, certains leaders de l’opposition n’ont semble-t-il pas encore saisi le changement de paradigme qui s’est opéré en Tunisie qui est passée d’une transition démocratique à une transition autoritaire. Parmi eux, l’avocat membre du comité de défense des détenus politiques dans l’affaire dite de complot contre la sûreté de l’État Ayachi Hammami.

Début mars, il publiait en effet une tribune titrée « la prochaine présidentielle sera-t-elle une opportunité du sauvetage du pays ? ». Un texte dans lequel il propose à l’opposition d’unifier sa candidature, comme au temps de l’alternance démocratique et comme si de rien n’était. Un angélisme qui a de quoi faire sourire les plus optimistes, ceux qui oublient que pour inviter au dialogue, encore faut-il être en position de force. La tribune en question est naturellement restée lettre morte.

 

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