Présidentielle/Tunisie. Depuis Monastir, l’annonce d’une candidature entre les lignes

 Présidentielle/Tunisie. Depuis Monastir, l’annonce d’une candidature entre les lignes

Durant son aparté filmé avec Kais Saïed, la fille adoptive de Bouguiba, Hejer, a fait une bien étrange demande au président : criminaliser l’atteinte à Bourguiba, qui confinerait à une atteinte au sacré…

En se rendant samedi 6 avril au mausolée de Bourguiba, à Monastir, où il a présidé la cérémonie de commémoration du 24e anniversaire de la mort du leader Habib Bourguiba, premier président de la République tunisienne, Kais Saïed a pour nombre d’observateurs de facto annoncé son inévitable candidature, de manière à peine voilée. Un aveu implicite dans son allocution mais aussi en répondant à ce sujet, visiblement agacé, aux journalistes présents sur place.

 

Passé le rituel annuel où le président de la République a récité la Fatiha à la mémoire de feu Habib Bourguiba et déposé une gerbe de fleurs sur sa tombe, Saïed a prononcé un discours à la teneur éminemment politique et électorale : « Il est hors de question de revenir en arrière et d’accepter les candidatures aux élections de personnes qui se sont jetées dans les bras de l’étranger »… « Les candidats doivent être parrainés par les Tunisiens, élus uniquement par des Tunisiens et non par une quelconque autre partie », a-t-il renchéri.

 

Zenaidi, l’homme à abattre

The elephant in the room, celui dont le nom était naturellement dans tous les esprits, c’est bien entendu Mondher Zenaidi, l’ancien ministre bénaliste aujourd’hui exilé en France, qui s’active depuis peu via une communication qui laisse entrevoir un retour dans la vie politique. Si le poids électoral de Zenaidi est loin d’être établi, c’est la symbolique d’une telle candidature, nostalgique de l’ère Ben Ali, qui semble préoccuper le chef de l’Etat. C’est également une aubaine pour ce dernier, puisqu’elle lui permet de réinvoquer un argumentaire de lutte anti ancien régime, une catégorie dans laquelle il aime à mettre ses adversaires les plus sérieux, maintenant que l’islam politique est écarté.

Le président Saïed a jugé « indispensable » de « respecter la coexistence pacifique entre les autorités en place et l’opposition dans le cadre des dispositions de la loi et de la Constitution », une formule tournée en dérision l’opposition en question : « la coexistence pacifique, oui, mais en prison ! », rétorquent le peu d’opposants encore en état de liberté.

 

Un lapsus révélateur ?

Le président Saïed a ajouté que « contrairement à ce que pensent certains, le pouvoir n’est pas un objectif en soi, il s’agit de la responsabilité d’honorer les engagements », a-t-il dit. « Aujourd’hui, nous menons un combat à mort, une lutte existentielle pour protéger la Tunisie contre les tentatives, menées après le 14 janvier 2011, de faire imploser l’État de l’intérieur et de porter atteinte à ses services publics », a-t-il déclaré, « les Tunisiens ont fait preuve d’une grande conscience face à ce complot », a-t-il ajouté, sans que l’on saisisse exactement l’identité de ces ennemis de la nation que le président désigne vaguement par « les lobbies corrompus », « un péril fantoche idéal pour se maintenir indéfiniment au pouvoir » selon l’opposition.

Cette même sémantique du chef de guerre et de la lutte existentielle, Kais Saïed l’a réitérée avant de quitter les lieux, lorsque, fait rare, il répondait aux questions directes des journalistes, en l’occurrence sur son éventuelle candidature pour se succéder à lui-même. Particulièrement irrité, il monte d’un ton : « il nous faut poursuivre la lutte de la libération nationale afin de débarrasser le pays des corrompus dans tous les domaines », a-t-il martelé d’un ton paternaliste et menaçant, qui semblait indiquer que ses interlocuteurs journalistes n’ont pas conscience de cette guerre impétueuse qui se joue au moment où l’on parle.

Pour ses détracteurs, Saïed emploie ici une rhétorique où se confond sa propre intégrité existentielle avec celle de la nation, dans la mesure où le pays a de nouveau basculé depuis le 25 juillet 2021 dans le paradigme pouvoir / prison. Un fléau bien connu dans le monde arabe, qui consiste en ce que le détenteur du pouvoir ne saurait opérer une passation pacifique, une fois empêtré dans les exactions de l’autoritarisme.

 

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