Présidentielle : Marine Le Pen en rupture avec de l’État de droit et la Constitution
Le projet présidentiel de Marine Le Pen en matière institutionnelle et migratoire rompt avec beaucoup de principes de la Constitution, dont l’égalité. Il s’oppose en outre « frontalement » à la Déclaration des droits de l’homme, avancent plusieurs spécialistes.
« Ce texte équivaut ni plus ni moins à la sortie du cadre constitutionnel dans lequel la France vit depuis la Révolution française », estime le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau. La « priorité nationale » que Marine Le Pen veut inscrire dans la Constitution constitue une « remise en cause radicale des grands principes d’égalité et de fraternité », souligne-t-il dans le magazine Challenges.
M. Rousseau juge particulièrement « inquiétante » une disposition de l’article 1 du projet de loi. Selon ce dernier, « l’accès des étrangers à tout emploi public ou privé, à l’exercice de certaines professions, activités économiques ou associatives, fonctions de représentation professionnelle ou syndicale, est fixé par la loi ».
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« En clair, Marine Le Pen se réserve la possibilité d’interdire, par une simple loi, tout type d’emploi aux étrangers dans n’importe quel secteur d’activité », selon le constitutionnaliste. « Potentiellement, c’est une restriction plus forte que les lois de Vichy qui proscrivaient l’accès de certaines professions aux juifs », dit-il.
Réserver des allocations aux Français
La candidate du RN prévoit également de réserver « aux Français » certaines prestations comme les allocations familiales. Elle veut conditionner certaines autres, comme le RSA, pour lequel les étrangers devront justifier de 5 ans de travail équivalent temps plein.
Or le Conseil constitutionnel avait censuré en 1990 une restriction similaire, considérant que « l’exclusion des étrangers résidant régulièrement en France du bénéfice de l’allocation (…) méconnaît le principe constitutionnel d’égalité », rappelle Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS au laboratoire droit et changement social à Nantes.
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La solidarité de la nation est en effet doublement protégée. D’abord par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui consacre le principe d’égalité. Puis, par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Celui-ci prévoit que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », sans aucun critère de nationalité.
Coup d’État contre l’État de droit
En outre, priver de prestations les étrangers qui travaillent, et donc cotisent, « reviendrait à obliger des personnes à financer un système dont elles ne bénéficieraient pas », souligne M. Caillaud. Autre conséquence, les employeurs pourraient « demander à être exemptés » des cotisations qu’ils paient pour les étrangers, ce qui rendrait l’embauche de salariés étrangers plus attractive… loin de l’objectif de Marine Le Pen, note-t-il.
Pour ne pas subir les foudres de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ou de la Cour européenne de justice (CJUE), qui ont rejeté des dispositions semblables, en 1996 en Autriche, 2003 en France ou 2005 en Allemagne, Marine Le Pen a aussi prévu d’inscrire dans la Constitution le principe d’une supériorité du droit français sur le droit international et européen. La France ne respecterait ainsi plus les traités qu’elle a pourtant signés. Pour Dominique Rousseau, c’est « un coup d’État contre l’État de droit ».
Mais « ce n’est pas une directive européenne qui empêche de restreindre le regroupement familial, c’est le droit de vivre en famille. Ce n’est pas une directive européenne qui empêche de limiter l’asile. C’est notre Constitution » et ses principes fondamentaux, rappelle M. Slama.