Pourquoi « l’EUGate » n’est vraiment plus un « Qatargate » ?

 Pourquoi « l’EUGate » n’est vraiment plus un « Qatargate » ?

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Une tribune de Sébastien Boussois

Les dernières révélations publiées sur Politico dans l’affaire de corruption au Parlement européen et qui défraie les médias depuis deux mois mettent en cause un député européen polonais qui aurait largement profité des faveurs cette fois-ci des Emirats arabes unis en plus de son traitement de fonctionnaire de l’Union. Cela prouve bien qu’après le Qatar, le Maroc, la Mauritanie, les Emirats arabes unis ont aussi contribué à s’attirer les faveurs de représentants européens.

 

Radoslav Sikorski, prétend avoir déclaré ses voyages dans le Golfe mais un journal hollandais le met en cause dans une histoire de présumée corruption beaucoup plus importante. Le quotidien NRC l’accuse d’avoir profité d’hôtels de luxe aux Emirats régulièrement et de recevoir pas moins de 93 000 dollars annuellement depuis 2017 en tant que conseiller du forum Sir Bani Yas, une célèbre conférence qui se tient tous les ans dans la confédération.

 

Il faut donc bien reconnaître une fois de plus que l’affaire prématurément appelée « Qatargate » tombée en pleine Coupe du Monde à Doha était simplificatrice et pose la question de ce qui est possible ou non en termes de lobbying avec l’Europe. Sans remettre en cause l’ indépendance de la justice belge, l’équipe du juge Michel Claysse a pris en flagrant délit une série d’individus soupçonnés de corruption et pour une partie jetés en prison le temps de la poursuite de l’enquête. On ne parlait alors que de Qatar.

 

Sans être complotiste ou paranoïaque, il n’est pas absurde de s’interroger sur la manière dont l’équipe en charge de cette enquête a pu prendre sur le vif les personnes suspectées avec des sacs de billets à leur domicile ou en train de les déplacer. Il fallait être certes bien renseigné ou qu’on les informe. On ne tombe pas au hasard sur ces faits.

 

Dans un second temps, il n’est pas totalement absurde non plus de se demander à qui pouvait profiter le crime de la sortie d’une telle affaire à ce moment-là: à qui pouvait profiter la survenue d’un tel scandale alors que nombre de polémiques d’avant Coupe du Monde avaient fini par s’éteindre ? Le Qatar, qui avait fait l’objet d’un bashing inédit pour un tel évènement, s’était plutôt bien sorti en termes d’image depuis le début de la compétition qui sera sans failles jusqu’au bout et présentée comme une des meilleurs de l’histoire.

 

Récemment, relayé par un journal italien, les hypothèses d’un site américain vont bon train en se demandant si ce Qatargate, devenu EUGate, en mouillant non seulement de plus en plus de pays mais en suspectant également de plus en plus de personnel européen, n’a pas été orchestré par un acteur tiers pour nuire au Qatar directement, sans minorer les soupçons de corruption le visant à ce stade ? A ce jour, quatre des protagonistes de l’affaire en cours sont en prison depuis le 8 décembre. Certes, il y avait des soupçons des services de police belge autour du personnage de Pier Antonio Panzeri, ancien député européen suspecté d’être à la tête de ce groupe interne mafieux au cœur des institutions européennes.

 

Alors que d’autres pays financent un intense lobbying auprès des institutions depuis des années, que ce soit la Chine, la Russie, un pays est resté relativement discret depuis le début de l’affaire : les Emirats arabes unis. L’affaire pourrait bien rebondir et commencer à s’étendre et se retourner contre Abu Dhabi. D’ailleurs, le mois dernier, le site d’informations italien Ilgiornale accusait directement la main d’Abu Dhabi dans le déclenchement du scandale du « Qatargate ». Ayant repris des informations des sites Dagospai.com et du Nyweekly.com, l’ensemble de ces sources ciblent directement Tahnoon bin Zayed Al Nahyan, le frère du Président des Emirats, Mohamed Ben Zayed, et chef des services secrets locaux, accusé d’opérer un intense lobbying en faveur de son pays et surtout contre son rival historique auprès de Bruxelles.

 

Dans les cercles bruxellois, un rapport était d’ailleurs sorti en juin dernier sur la stratégie d’influence et de lobbying d’Abu Dhabi auprès des institutions européennes. Il a été présenté par Nicola Giovannini, de l’ONG Droit au Droit. Le dossier de 150 pages analyse en détail la toile qu’Abu Dhabi a tissé, via des centres de recherches factice, des contacts auprès du parlement européen, ou d’agences de communication politique. Toutes avec un ennemi à abattre : le Qatar, éternel rivage politique régional et mondial.

 

La mise en cause du député européen Radoslav Sikorski pourrait être l’étincelle d’un nouveau scandale plus vaste encore. S’il s’est défendu en parlant de son rôle au sein de ce forum, un des plus respectables qu’ils soient selon lui au Moyen-Orient, il faudra rapidement éclaircir l’évident conflit d’intérêt dont la définition n’a manifestement pas toujours été bien comprise par nombre de représentants de l’Union européenne. Et là, on parle seulement d’activités officielles.