Yamina Benguigui : « Les droits des femmes au coeur de mon action »

 Yamina Benguigui : « Les droits des femmes au coeur de mon action »

crédit photo : Régine Mahaux


MAGAZINE NOVEMBRE 2017


Réalisatrice, documentariste, productrice, militante associative, femme politique… l’ancienne ministre de la Francophonie désormais à la tête de l’Institut Robert-Schuman pour l’Europe répond à nos questions. 


Quel est le point commun entre tous vos engagements ?


L’engagement, pour moi, est indissociable de ce que je suis et de ce que je fais. Quand je réalise un film, je n’oublie pas qui je suis, ce que je suis : une cinéaste engagée pour défendre les droits des femmes et pour lutter contre les discriminations que ce soit par l’image, le monde associatif ou la politique.


 


Vous avez été très impliquée politiquement (adjointe puis conseillère à la Mairie de Paris depuis 2008 et ministre entre 2012 et 2014). Pourquoi cela est-il si important pour vous ?


Pour participer à la prise de décision de ce qui me concerne. Je rappelle souvent la mise en garde de Nelson Mandela : “Ce qui est fait pour nous, sans nous, est fait contre nous.” Tel est le sens de mon engagement, que ce soit à la Mairie de Paris, où j’ai dirigé la première mission de lutte contre les discriminations, ou au ministère de la Francophonie, où j’ai mis la lutte pour les droits des femmes au cœur de mon action.


 


Ce dernier thème revient souvent dans vos engagements. D’où vient-il et quel regard portez-vous sur l’évolution des droits des femmes aujourd’hui en France ?


Je suis convaincue qu’il est essentiel de participer aux décisions qui nous concernent pour être certaine qu’elles feront évoluer les choses dans le bon sens, c’est-à-dire dans l’intérêt des femmes, dans la défense de leur dignité, de leur intégrité et de leur liberté. Ce combat est le seul pour lequel il est hors de question de déposer les armes. La violation des droits des femmes commence par le viol de leur corps et cela concerne tous les pays : viols de guerre, rapports sexuels forcés, harcèlement dans la rue, au travail. La violence sur le corps et l’esprit des femmes a des conséquences dramatiques qui sont un frein au développement et à l’épanouissement des sociétés. Ce combat sera le mien jusqu’à mon dernier souffle et j’espère qu’il constituera le plus beau legs que je transmettrai à mes filles !


 


Vous êtes présidente du Forum mondial des femmes francophones, qui s’implique beaucoup dans la scolarisation des jeunes filles, notamment en Afrique. Quelles sont pour vous les solutions que l’on peut apporter à cette question ?


L’objectif principal du Forum est d’obtenir la scolarité obligatoire des filles jusqu’à l’âge de 16 ans en Afrique. Parce qu’une fille scolarisée, éduquée, peut décider de ne pas perpétuer les traditions qui l’inféodent, comme l’excision ou le mariage forcé. Instruite, elle transmettra à ses enfants l’accès au savoir et à la connaissance. La scolarisation des jeunes filles est le seul moyen de compenser les effets de longue durée causés par les inégalités séculaires. Mais cela doit être dans l’agenda des pays africains et de leurs instances communes comme l’Union africaine. J’ai proposé un partenariat européen pour affirmer cet engagement avec l’Institut Robert-Schuman pour l’Europe (Irse), dont je suis présidente (depuis mai 2017, ndlr).


 


Après votre passage au ministère de la Francophonie, vous vous êtes impliquée sur le continent africain, notamment au sein de l’association Energies pour l’Afrique. Pensez-vous que ce continent représente l’avenir ?


La question de la transition énergétique en Afrique concerne toutes les Africaines et tous les Africains et toutes les personnes qui ont pris conscience de ses enjeux. Ce continent est éclairé à 30 %, 700 millions d’Africains vivent actuellement sans lumière alors qu’il recèle l’un des plus forts potentiels énergétiques au monde. Nous ne pouvons plus entendre ces chiffres et les répéter inlassablement sans avoir honte  ! La ­lumière est un pilier fondamental du développement.


 


Vous êtes présidente de l’Institut Robert-Schuman. Selon vous, comment peut-on redonner une “envie” d’Europe ?


L’Europe est mise en danger par des replis nationalistes et se retrouve prise entre plusieurs feux : ceux qui veulent plus ­d’Europe, ceux qui en veulent moins, ceux qui n’en veulent pas. L’Europe commémore, elle organise des sommets, l’Europe des chefs d’Etat se prend en photo et se congratule puis chacun retourne à ses affaires dans son pays. Mais qu’en est-il des peuples européens, de leurs aspirations et de leurs cultures ? Le désir d’Europe doit être ravivé par des valeurs d’humanité et de partage comme le voulait Robert Schuman (père fondateur de l’Europe, ndlr).


 


Revenons à votre rôle dans le cinéma et le documentaire. Vos films (Mémoires d’immigrés, Le Plafond de verre, 9-3 ) ­retracent la composante française de l’immigration ­maghrébine. Quel est votre regard sur l’évolution de cette “communauté” ?


Cette “communauté” a été longtemps invisible. C’était d’ailleurs les conditions de l’intégration : oubliez votre histoire pour entrer dans la nôtre… mais par la porte de derrière, sans bruit. Aujourd’hui, la composante française de l’immigration maghrébine est présente dans tous les secteurs de la société : la politique, les médias, la culture, l’éducation. Malgré un plafond de verre persistant. Cette nouvelle génération subit de plein fouet les soubresauts de la bête immonde qu’est le radicalisme, le fondamentalisme, le terrorisme, qui va les stigmatiser comme musulmans et non plus comme citoyens. L’islamophobie s’est superposée au racisme ordinaire.


 


Quels sont vos projets (films, documentaires…) ?


Mon prochain long-métrage, Sœurs, sera autobiographique. Il raconte l’histoire de trois femmes. Un drame interprété par Isabelle Adjani, Maïwenn Le Besco et Rachida Brakni. Je poursuis aussi le développement de la série Aïcha. Ce fut douloureux d’écrire la suite, après le décès du remarquable comédien marocain Hamidou Benmassaoud, qui interprétait le rôle du père de la famille Bouamazza. Son talent a illustré avec bonheur et émotion les cinq premiers épisodes. Mon prochain ­documentaire sera consacré aux défis environnementaux en Afrique à travers l’histoire du fleuve Congo, fleuve nourricier des pays du bassin du Congo et deuxième poumon écologique de la planète. Nous produisons en ce moment le prochain long-métrage du ­talentueux Louis-Julien ­Petit, Les Invisibles.


 


Quel regard portez-vous sur le cinéma maghrébin, qui connaît en ce moment un grand renouveau ?


L’effervescence de ce cinéma est profondément liée au mélange dont il est issu, des productions des pays du Maghreb et aussi de celles de la diaspora ; des regards croisés qui ­traversent la Méditerranée dans tous les sens. L’une des solutions serait de créer un fonds africain pour l’industrie cinématographique. C’est une urgence pour la nouvelle génération de cinéastes. Le septième art est une des meilleures armes contre l’intégrisme et l’obscurantisme : ouvrir des salles de cinéma, c’est ouvrir les esprits. 


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