Municipales : L’hécatombe des équipes de campagne
Les témoignages affluent ! Ils sont militant(e)s de plusieurs partis dans toute la France (Gennevilliers, Aubervilliers, Marseille, Saint-Ouen, etc..). Certain(e)s ont été testé(e)s positifs au Covid-19. Leurs souhaits : un report du processus électoral pour 2021.
Pour les besoins d’un article sur la situation sanitaire en Seine-Saint-Denis, nous avons contacté le Dr Zishan Butt à Aubervilliers, médecin urgentiste du 93. Testé positif dès le mercredi 18 mars, il nous avait indiqué avoir été tête de liste pour « Aubervilliers en commun » et que d’autres membres de son équipe étaient dans le même état que lui. Khir-dine Grid en fait partie. Ce producteur de cinéma, parle de « plusieurs membres touchés. Pour ma part, j’ai eu des symptômes. Au départ, c'était de la fatigue, puis de la fièvre. J’ai mis cela sur le dos des municipales et du 1er tour qui a été très éprouvant. J’ai perdu l’odorat et j’ai compris que c’était le COVID19.»
L’équipe de campagne tient alors un bulletin de santé de tous pour savoir l’état de contamination. Mohamed Bader parle d’un sentiment de fatigue dés le 16 mars. « Je pensais que c’était une grippe. Pendant 4-5 jours, j’ai pris du Doliprane. J’avais de la toux. Ma respiration est devenue très compliquée. J’ai appelé alors le 15 le 23 mars à 10h00 du matin. Ils m’ont emmené à 2h le lendemain. » Direction les urgences de l’hôpital Avicenne de Bobigny où Mohamed est testé positif. Il reste dans l’unité de soins intensifs réservée pour le COVID19 jusqu’au 1er avril. « Une majorité d’entre nous a été touché, aux alentours d’une trentaine à des degrés divers. Personnellement, j’étais contre le maintien. Je ne comprends pas pourquoi ils ont maintenu ces élections. » Même sentiment d’incompréhension pour Evelyne Yonnet Salvator, elle aussi membre de l’équipe de campagne. « J’ai eu le Covid19 et un abcès dentaire pour couronner le tout. Le mardi, j’étais très fatiguée après notre dernière réunion. Habituellement, je dors assez peu et j’ai remarqué que je m’écroulais dans mon canapé. J ‘ai eu la perte de l’odorat que j’ai mis sur le compte du pollen printanier. J’ai essayé à plusieurs reprises d’appeler le 15 mais c’était plein. Je me suis soigné seul chez moi. Je suis remise mais j’ai encore une grande fatigue que je n’arrive pas à contrôler. »
Une hécatombe généralisée dans de nombreuses villes
L’évaluation des dégâts est encore difficile mais les premières remontées font état de contaminations partout en France. A Gennevilliers, une membre de l’équipe de Patrice Leclerc nous affirme être tombée malade du Covid19 pendant 10 jours, sans gêne respiratoire. « Je pense être tombé malade après les bureaux de vote et de nombreux camarades assesseurs ont eu les mêmes symptômes ». Le député Insoumis, Eric Coquerel qui soutenait la liste « Saint Ouen en Commun » fait état d’un « quart de la liste qui a eu des symptômes ou a été testée positif. » Assia Meddah, qui se présentait pour le PRG avec Cédric Vilani à Paris, n’a pas eu de cas mais nous affirme qu’un membre de son parti du 20ème arrondissement a été testé positif. A Cergy, ce sont 4 membres de l’équipe du maire sortant, Jean-Paul Jeandon qui ont eu des symptômes. Dans le sud, à Marseille, outre la candidate LR Martine Vassal, de nombreux colistiers (Yves Moraine, Valérie Boyer, etc..) ont été testés positifs. Dans l’équipe du sénateur Bruno Gilles, le directeur de campagne du 5ème secteur, Lucas Simon a travaillé 2 mois sur la campagne des municipales. « Le père d’un de nos assesseurs est tombé gravement malade. Le mari de la candidate a été atteint et testé positif une semaine après le premier tour. Il y en a quand même plusieurs.» Nos confrères de France Inter ont établi également une liste importante des mairies qui ont été décimés par le virus.
Serrages de mains, porte à porte et bises
Si les équipes de campagne sont autant décimées, ce n’est pas le fruit du hasard. Militant depuis 7 ans, Lucas Simon parle de « réunions en permanence, des rendez-vous assez réguliers que ce soit dans l’équipe de campagne ou avec les personnes à l’extérieur. Ca peut prendre la forme de réunions publiques avec des locations d’endroits, des boitages, du porte à porte, des papiers mis dans les boites aux lettres, des bises, des serrages de mains, etc. Il faut aussi prendre en compte que nous ne disposions pas de gel hydro alcoolique à l’époque.» Farida Amrani, seconde sur une liste citoyenne à Evry-Courcouronnes parle de chance de n’avoir aucun cas dans son équipe alors que « 3 personnes sont touchées chez le maire sortant. Une campagne électorale a ceci de spécifique qu’il y a une forte présence sur le terrain. De plus, on se déplace beaucoup dans tous les quartiers.»
Outre la campagne elle-même, il ne faut pas oublier que les staffs politiques sont aussi très impliqués dans le dépouillement. En effet, des réunions ont lieu la veille ou l’avant-veille pour organiser la répartition des assesseurs et leur fournir une aide technique. « On a fait une réunion dans un restaurant pour l’organisation. Le risque semblait maitrisé pour une formation pour les élections. Pour éviter tout risque de fraude, on avait 70 assesseurs de 8 heures du matin à 8 heures du soir pour couvrir les 84 bureaux de vote. » Même son de cloche chez l’équipe de Farida Amrani. « On avait la tête dans le guidon. On ne se rendait vraiment pas compte du danger même si des personnes nous demandaient de laisser le tract dans la boite aux lettres.»
Report des élections municipales souhaité en 2021
La plupart des membres de partis politiques ne comprennent pas le maintien des élections alors que le 11 mars, l’OMS annonce une « pandémie ». Pour l’élue d’opposition d’Evry, « Il n’y avait rien d’urgent. La preuve, aucun conseil municipal n’est installé. Certains des assesseurs en sont morts dans des villes ou départements. »
Dés lors, qui est responsable du maintien de ces élections coûte-que-coûte ? Le gouvernement ou les partis politiques ? Le directeur de campagne de Bruno Gilles à Marseille, Lucas Simon ne sent pas « responsable de la situation. On a fait de notre mieux pour faire respecter la démocratie et éviter toute fraude. L’élection municipale définit le maire pour les 6 ans à venir. » Farida Amrani pense par sa part que ceux qui avaient les cartes en main sont « les membres du gouvernement qui auraient du prendre leurs responsabilités. Les leaders politiques ne connaissaient pas forcément la situation du pays. Il ne les a jamais écoutés par le passé.»
Aucun des militants que nous avons interviewés ne voit comment les élections peuvent se tenir en juin. Lucas Simon parle « d’évidence » sur la complexité de mener « ce moment important de la vie démocratique » et juge « d’un point de vue personnel qu’il faut repartir à zéro ». Comme Farida Amrani, il espère un report pour 2021. « On doit refaire les deux tours, indique l’insoumise. Les gens ne ressortiront pas comme ça. On n’est pas à ça près. Ce n’est pas le moment de parler de ça. Il y a des deuils, des personnes touchées.»
Epargné dans sa fédération de l'Hérault, l'élu régional et membre du bureau national du parti socialiste, Hussein Bourgi s’en remet au Président de la République. « Avec la majorité au parlement, c’est lui le maitre du temps, le maitre des horloges. Il décidera du calendrier le plus optimal et le moins risqué. Le choix du président de la République sera le bon. Le temps de la démocratie reviendra, comme avant cette pandémie.»