Marwan Muhammad : « Tout ce qui se fait pour les musulmans doit se faire avec eux »
L’essayiste et ex-directeur du Collectif contre l’islamophobie en France, a lancé une consultation pour définir les bases d’une possible organisation des communautés musulmanes.
Quel bilan tirez-vous de la consultation des musulmans que vous avez lancée début mai ?
D’abord une grande joie en constatant l’engouement qu’elle a suscité. Il y a eu une forte participation en ligne (près de 24 000 personnes y ont répondu), mais aussi sur le terrain, dans les associations et les mosquées où étaient organisées des consultations locales, auxquelles nous avons assisté lors d’un tour de France durant le mois de ramadan. Ensuite, le poids d’une responsabilité immense : celle de restituer, maintenant, avec l’aide d’un comité scientifique, les principales tendances qui se dégagent, quant aux besoins et aux idées qu’ont formulés les musulmans. C’est ce qui devrait nous occuper tout l’été, avec le groupe de travail qui a lancé la consultation. Mais l’essentiel est fait : les musulmans ont pris conscience de l’importance du moment et s’en sont saisis. La suite, c’est aussi à eux de la prendre en mains…
Que pensez-vous de l’initiative du Conseil français du culte musulman (CFCM), de lancer à son tour une consultation des musulmans de France ?
Nous avons dès le début contacté le CFCM et toutes les grandes fédérations pour les convaincre de se joindre à notre consultation, en les encourageant à ne pas “avoir peur” de la parole des musulmans. Hélas, le CFCM espérait encore être associé à la démarche d’Emmanuel Macron (la réorganisation du culte musulman en France, ndlr), malgré des humiliations répétées (invité à l’iftar par le CFCM, par exemple, le chef de l’Etat a décliné, envoyant le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb pour le représenter, ndlr). Aujourd’hui, le CFCM annonce qu’il souhaite lancer une consultation identique à celle qui s’achève, en reprenant les mêmes éléme nts de langage… C’est triste, mais libre à eux. De notre côté, on se concentre sur le travail de fond au service des musulmans et on laisse la porte ouverte aux fédérations.
Le CFCM, qui existe depuis quinze ans, est-il une instance dépassée et obsolète ?
Il est le fruit de sa genèse : il a été créé sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy en 2003, comme un dispositif institutionnel pour contrôler les fédérations musulmanes. Depuis, il ne s’est jamais affranchi de ce contrôle politique et, quinze ans plus tard, chacun jugera si la condition des musulmans s’est améliorée ou a empiré. Ce n’est pas une question de personnes, mais de structure, de moyens, d’indépendance et de travail. Je pense qu’il est temps pour les musulmans de s’organiser par eux-mêmes, de manière sérieuse et professionnelle.
Le président de la République peut-il réellement structurer l’Islam en France ? Il avait promis des annonces en ce sens pour le mois de juin…
Oui, ce sont les informations dont nous disposions. C’est pour cela que le timing de notre consultation était crucial, afin de poser l’idée, une fois pour toutes, que tout ce qui se fait pour les musulmans doit se faire avec eux, sinon on ne résoudra rien. Je pense que, vu l’ampleur de la mobilisation, le Président a bien reçu le signal et donc, sans surprise, il doit réévaluer son plan et en retarder les annonces. L’Etat doit bien comprendre une chose : rien ne changera tant que les musulmans ne seront pas traités comme des citoyens à part entière, libres de leurs choix et de leurs modes d’organisation. De notre côté les choses sont claires : on doit travailler en toute transparence, de manière indépendante, constructive et efficace, au service des communautés musulmanes et, plus largement, pour le bien commun.