Marseille- Said Ouichou, bien plus qu’un médecin
Sa salle d’attente ne désemplît jamais. Avant même l’ouverture, à 8h30, femmes et enfants attendent patiemment que le cabinet médical du docteur Ouichou, dans le très populaire 15e arrondissement de Marseille, ouvre ses portes. Il ne prend pas sur rendez-vous. Premier arrivé, Premier servi. « C’est mieux ainsi parce que souvent, les gens ne viennent pas et n’appellent pas non plus pour annuler » nous explique le toubib du coin Said Ouichou, la cinquantaine. Il travaille dans ce cabinet depuis plus d’une dizaine d’années.
Dans ce quartier abandonné des pouvoirs publics, coincé entre le marché aux puces et la rue de Lyon, les gens vivent au jour le jour. Certains, comme cette jeune femme, maman de deux enfants n’hésitent pas à parcourir des kilomètres pour venir le voir. « Depuis mon mariage, je vis à Vitrolles. C’était notre médecin de famille quand je vivais dans le 15e avec mes parents. C’est un super médecin. Je préfère faire toute cette route plutôt que d’aller en consulter un à Vitrolles », témoigne-t-elle. « Je reçois des familles sur trois générations », explique le praticien qui a grandi au Maroc. « Un jour, une patiente est rentrée avec son sac à dos, elle avait été mise à la rue. J’ai dû appeler l’assistante sociale pour lui trouver un logement», raconte-t-il. Aujourd’hui, cette femme est ambulancière. Une fierté pour Said Ouichou.
Au cabinet du Docteur Ouichou, on prend aussi les rendez-vous chez les spécialistes pour ceux qui ne maîtrisent pas le français, mais aussi pour ceux qui galèrent avec l’administration française.
Il arrive parfois à ce toubib tout terrain de décrocher son téléphone pour appeler ses confrères en cas d’urgence, de fixer un rendez-vous chez un pneumologue pour une de ses patientes, d’obtenir une date pour passer un scanner ou un IRM. Des chibanis, des primo-arrivants, des Roms, des Gitans, et « tout ce que la France a fait de meilleur » comme le chantent les frères Amokrane Mouss et Hakim se croisent dans sa salle d’attente. Beaucoup mettent leur « vie » entre ses mains. « Nous sommes dans un arrondissement populaire. Les pathologies que je soigne sont liées au mode de vie de mes patients : précarité, pauvreté, sédentarité, mal logement… » explique le médecin. « Certaines pathologies s’expriment plus ici qu’ailleurs. Nous avons beaucoup de problèmes liés à l’obésité notamment chez les enfants, au diabète, aux maladies cardio-vasculaire, à l’hypertension artérielle », continue-t-il.
Son travail ne s’arrête pas à prescrire des médicaments. Il doit souvent gérer leur environnement aussi : « L’état de délabrement des logements, l’insalubrité, les moisissures et l’humidité mais aussi le manque d’entretien des logements ont des conséquences graves sur leur santé. Il faudrait faire condamner ces propriétaires voyous qui laissent les appartements se délabrer au point d’engendrer des maladies respiratoires notamment des complications asthmatiques, en particulier chez les enfants ».
Et les choses n’ont pas l’air d’évoluer positivement malgré les travaux de rénovation en cours, comme la destruction d’un quartier entier et la reconstruction d’un éco quartier. « En dix ans, je n’ai vu aucune amélioration dans les conditions de vie des gens. J’ai eu une patiente blessée par la chute de son plafond, d’autres ont eu des morsures de rat, la gale ou encore des punaises de lit. Les gens n’ont pas les moyens pour traiter les logements quand ils sont infestés », dénonce le docteur Ouichou qui s’insurge contre l’incurie des pouvoirs publics. « Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas une obligation immédiate des propriétaires de mettre en état ces logements alors même qu’ils ont été signalés aux services d’hygiène de la ville. Pour moi, la priorité est de reloger les personnes qui vivent dans des appartements qui les mettent en danger », propose ce dernier. A l’instar du contrôle technique pour les voitures, le médecin pense qu’il « faudrait imposer un contrôle régulier aux logements du parc privé».
Said Ouichou a d’autres propositions pour améliorer la santé dans son quartier. « Je milite pour la création d’une maison de santé pluridisciplinaire dans le 15ème arrondissement pour inciter à l’installation de spécialistes dans le quartier. Aujourd’hui, au regard du manque de transports en commun adaptés, les habitants ont beaucoup de difficultés à aller voir des spécialistes. Les hôpitaux ne sont pas faciles d’accès non plus». Le toubib sait que sans volonté politique, les choses ne changeront pas ici. Il pense de plus en plus à s’investir « politiquement », conscient qu’il faudrait un vrai investissement des pouvoirs publics.