Le wahhabisme a dépossédé les musulmans de leur âme
Le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane a récemment avoué au “Washington Post” que son pays avait bien propagé cette idéologie islamiste rigoriste à la demande des Occidentaux, durant la guerre froide. Les pays arabes en payent toujours les conséquences.
Les massacres, les bombes qui pleuvent sur le Yémen, la Syrie, cette cohorte de pauvres hères fuyant le chaos, des milliards d’individus stigmatisés pour leur religion, l’image de l’Islam traînée dans la boue, bref, une région entière plongée à jamais dans la haine confessionnelle et des guerres fratricides, et le reste est à l’avenant. Merci qui ? Le wahhabisme, bien sûr.
Dans une interview accordée au Washington Post, le 22 mars dernier, le prince héritier Mohamed Ben Salmane a confessé que “Riyad avait propagé l’idéologie wahhabite pendant la guerre froide, à la demande de ses alliés occidentaux, afin de contrer l’URSS. C’est pour cela que nous nous sommes investis dans la création d’écoles coraniques, de mosquées et dans la propagation du wahhabisme dans le monde musulman.” Ce qu’il ne dit pas, c’est que ce courant de l’Islam est une pure invention. Pourtant, de nombreux exégètes musulmans se sont évertués à expliquer le caractère erroné de cette “religion”, à commencer par Omar Ngout, un cheikh turc, grande figure du soufisme naqshbandi, qui avait publié un essai au titre explicite : La religion musulmane et la religion wahhabite.
Mieux vaut tard que jamais !
Un siècle plus tard, le moins qu’on puisse dire, c’est que le projet concocté par les espions de sa Majesté britannique – qui consiste à imposer l’idée qu’être intégralement musulman, c’est forcément être violent et qu’en conséquence, le terrorisme serait l’essence même de l’Islam – a triomphé au-delà de toute espérance.
Dans ses aveux aux Américains, Mohamed Ben Salmane a clairement admis que “les gouvernements saoudiens successifs se sont égarés”, et qu’il était urgent “aujourd’hui d’œuvrer à un retour à la normale”. Mieux vaut tard que jamais ! Les Abdelilah Benkirane (ancien Premier ministre du Maroc), Rached Ghannouchi (président du parti islamiste Ennahdha en Tunisie) ou encore Mohamed Morsi (ex-président d’Egypte) auront-ils le courage de demander pardon aux populations pour les dégâts incommensurables, à commencer par la fracture de la société, que l’idéologie wahhabite a provoquée dans ces pays ? Maintenant qu’au sein de la Mecque du wahhabisme, on s’apprête à renier l’essence même de son existence ?
Salafistes et wahhabistes, même combat
Et pour cause, dans la plupart des pays arabes, y compris le Maroc, cette idéologie tient toujours le haut du pavé. Les salafistes au pouvoir à Rabat, comme ceux de Tunis ou du Caire, même s’ils s’en cachent, sont des wahhabites dans l’âme, et on comprend bien qu’ils n’aient pas envie de scier la branche sur laquelle ils sont assis. A leur façon, ils contribuent encore à la “wahhabisation” de la société. Il n’y a qu’à voir l’apparition de phénomènes totalement étrangers à ces sociétés dans l’espace public. Cela va de l’aspect vestimentaire aux pratiques rituelles, en passant par les transactions commerciales.
Pour ne prendre que l’exemple du Maroc, depuis la disparition de l’organisation Chabiba Islamiya, dont le chef Abdelkrim Motii n’était ni plus, ni moins, qu’un agent à la solde des Saoudiens, le Parti de la justice et du développement (PJD), sous la direction d’Abdelilah Benkirane, a repris le flambeau. En confiant notamment le travail souterrain à son bras armé, le Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR), dont les membres ne cachent pas leur allégeance aux chouyoukhs de la haine.
“Dans l’agenda secret de la mouvance, il s’agit d’instaurer la pratique ‘pure’ de la religion auprès de l’individu (concept wahhabite qui considère tous les musulmans comme des impies, ndlr), puis au sein du foyer, pour l’étendre ensuite à toute la société, surtout au niveau des instances dirigeantes de l’Etat, explique Said Lakhal, un islamologue marocain. Les clercs, dont la grande majorité fait un passage obligé chez les Al-Saoud (famille royale saoudienne, ndlr), tiennent aujourd’hui les rênes dans la citadelle des affaires islamiques, où le ministre Ahmed Taoufiq, d’obédience soufie, a bien du mal à faire entendre sa voix.”
Au menu de cet activisme, des actions caritatives, des prêches rigoristes tenus par des prédicateurs hargneux, qui n’hésitent pas à battre le pavé pour investir les domiciles. Jusqu’à une date récente, le sulfureux Youssef Al-Qaradawi, le télévangéliste wahhabite d’Al Jazeera, faisait régulièrement le déplacement dans le Royaume pour donner des conférences courues par la hiérarchie des islamistes marocains dans les salons cossus de la bourgeoisie salafiste. Quant au théologien suisse Tariq Ramadan, c’est une vraie star dans ces milieux.
La France, un terrain de chasse privilégié
Les islamistes du MUR et ceux du PJD s’ingénient toujours à vendre la version locale du wahhabisme auprès des Marocains résidant à l’étranger (MRE). Avec une communauté marocaine estimée à plus de 2 millions d’âmes, la France est en effet un terrain de chasse privilégié. Les agents du PJD se partagent le terrain avec les disciples de la confrérie Justice et Spiritualité, aussi bien pour des opérations souterraines que pour un prosélytisme qui avance caché derrière le caritatif.
Cette politique d’entrisme est devenue plus agressive depuis que le PJD gouverne au Maroc, alors que jusqu’à une date récente, pour vendre ses idées, il était obligé de s’accorder avec le reste des organisations musulmanes. A Londres, les “péjidistes” travaillent à visage découvert, comme c’est le cas d’ailleurs de l’association Moroccan-British Cultural Association (également appelée Jossour). A l’instar de leurs camarades Frères musulmans, ils participent ainsi au financement et à la propagation de cette propagande, qui instrumentalise également la religion à des fins politiques. Toujours avec le même souci : codifier les sociétés, expurger la foi de sa sève divine, formater les musulmans psychologiquement, au niveau vestimentaire et comportemental. Ce n’est pas pour rien que le théoricien le plus cité dans nos mosquées soit Ibn Taymiyya, le pape des salafistes exécuté à Damas en 1328 pour radicalisme !
Aujourd’hui, on peut toujours crier à qui veut bien l’entendre que l’Islam représente une spiritualité dans la continuité des monothéismes qui l’ont précédé. Tout au contraire d’un wahhabisme qui, né dans le cerveau machiavélique des stratèges de la perfide Albion, projet politique avec l’objectif d’organiser la vie autour d’une conception erronée et totalitaire de la religion, est toujours aussi présent. Ils ont particulièrement réussi à pervertir la représentation que les Occidentaux se font de l’Islam, surtout au sein de la société française.
Le plus grave, c’est que dans une vision du monde “halal”, binaire (eux et nous), et par conséquent rétrograde, le complotisme, qui met dans le même sac les juifs et les Occidentaux, nourrit le sentiment de haine et de vengeance qui anime les salafistes à la petite semaine, lesquels forment le gros des bataillons de Daech après avoir nourri ceux d’Al-Qaïda.
Une industrie idéologique
Même dans des pays pourtant “bétonnés” comme le Maroc, où les wahhabites ont réussi à imposer depuis des années des marqueurs de “bonne ou mauvaise piété”, la société est en passe de perdre ses repères, surtout depuis que les “milices secrètes” ont forcé le trait sur internet et les réseaux sociaux. Surveillés dans les lieux de culte, concurrencés sur les campus, ils ont trouvé dans le web le meilleur vecteur d’une islamisation rampante. Ils disposent à cet effet d’une véritable industrie idéologique de production et de diffusion, où les discours, les vidéos, diffusés en très grand nombre, continuent de privilégier une vision de la religion et de la société inspirée en grande partie du wahhabisme.
Comment, alors, retrouver la quiétude propre à cet Islam marocain teinté de soufisme, qui a servi, jusqu’à une date récente, de garant à la stabilité, de facteur d’apaisement et de promoteur du vivre-ensemble dans ce Royaume depuis bien des siècles ?
Voir aussi :
La "wahhabisation" de la société