Le FN pédale dans la semoule
La polémique du “couscousgate” et la démission de Florian Philippot, numéro 2 du parti, a laissé apparaître une crise profonde au sein du Front national, alors que Marine Le Pen a annoncé la “refondation” de sa formation, en vue du congrès national de mars prochain.
C’est la crise au Front national : le clan de Florian Philippot, vice-président du parti, a quitté brutalement le navire jeudi 21 septembre, après des semaines d’affrontements internes. Son repas, le 13 du même mois dans un restaurant de Strasbourg, a été le grain de semoule qui a fait déborder le couscoussier. Le désormais ex-numéro 2 du FN a été l’objet d’attaques de la fachosphère pour avoir préféré le plat emblématique du Maghreb aux spécialités du terroir. La “refondation” du Front national, annoncée par Marine le Pen à six mois du congrès du parti, semblait réduite au choix cornélien entre couscous-merguez et choucroute-saucisses. Florian Philippot a choisi. Il répondait d’ailleurs à cette polémique gustative avec un certain brio : “Pédaler dans la semoule ou dans la choucroute, je m’en fous. Pourvu qu’il y ait de la saucisse…” Le “débat d’idées” vanté par Marine Le Pen a atteint des niveaux rocambolesques et laissé apparaître une guerre ouverte qui a fait ses premières victimes.
Marion Maréchal ouvre le bal en mai
Au Front, les conséquences de la défaite à la présidentielle sont dévastatrices. Non seulement l’absence de Marine Le Pen tout l’été a laissé le champ libre à la France insoumise pour prendre la tête de l’opposition au gouvernement, mais, en interne, les critiques pleuvent et les départs s’ensuivent. Dès le mois de mai, Marion Maréchal Le Pen ouvrait le bal et quittait la politique, officiellement pour des raisons personnelles. Cela n’empêche pas la petite fille de Jean-Marie de garder un œil avisé sur le parti et d’entretenir des relations politiques avec ses adulateurs, tel Marc-Etienne Lansade, maire de Cogolin, qui a annoncé ce 15 septembre son départ du FN qu’il a qualifié de “machine à perdre”, fustigeant une dérive “gauchisante”. Une allusion à peine voilée à la ligne Philippot, objet de toutes les critiques, poussé vers la sortie tel un paria. La purge “anti-philippiste” avait démarré début septembre. Une de ses proches, Sophie Montel – qui a elle aussi quitté la formation – s’était vue retirer le 2 septembre dernier, la présidence du groupe FN de la région Bourgogne. Nicolas Bay, secrétaire général du parti, était venu en personne “tourner la page”. Lors de sa rentrée politique, Louis Aliot, compagnon de Marine le Pen, a lui, étrillé l’ex numéro 2 de son parti : “La politique ne consiste pas à se pavaner à la télévision”… Marine le Pen a beau scander qu’“il n’y a pas de crise au front national”, le sang coule sur le champ de bataille.
“Dédiabolisation”, “piège à con”
C’est la relance, en mai dernier, de son association Les Patriotes, qui a ouvert les hostilités à l’encontre de Philippot. Cette “création en pleine législatives a créé un émoi”, avance la cheffe frontiste sans préciser que ce think tank existe depuis 2015. Il avait, à l’époque, fait l’objet des mêmes débats qui s’inscrivaient dans les mêmes questionnements autour de l’avenir du parti, de la refonte des statuts et d’un éventuel changement de nom. Cette fois-ci, Marine le Pen a commencé par ordonner à son second de quitter la présidence des Patriotes. Dénonçant le “pistolet” que la chef frontiste lui met “sur la tempe”, l’eurodéputé a clamé au micro de Jean-Jacques Bourdin, sur RMC : “Ce n’est pas rendre service à mon parti que d’accepter que la moindre initiative se termine par une balle dans la tête.” L’ancien chouchou de Marine, exécuté sur la place publique ?
Dès son arrivée au FN en 2011, le numéro 2 s’est installé sur un siège éjectable en entamant un processus de rupture avec les origines maréchalistes et identitaires du parti d’extrême droite. Il s’est attaché à “tuer le père” – Jean-Marie le Pen – en mettant en place une stratégie de “dédiabolisation”… “Piège à con”, scande aujourd’hui le député Gilbert Collard. Car voilà, la “républicanisation” du FN a mené le parti dans des contradictions intenables. Les républicains s’opposent aux identitaires, la laïcité aux valeurs chrétiennes vues de l’extrême droite, le protectionnisme et la défense des droits sociaux au libéralisme historique d’un parti de droite, et le gaullisme philippiste aux origines d’un FN né des soubresauts de l’OAS… des paradoxes qui se sont révélés insurmontables.
Une série de faux procès
Le point de rupture idéologique entre le FN et l’énarque semble tourner autour de son attachement à la sortie de l’euro, que les ténors du FN tiennent pour responsable de la défaite. A plusieurs reprises, Philippot avait menacé de quitter le Front si cette thématique était abandonnée. Il n’en fallait pas plus à Nicolas Bay pour annoncer mi-septembre la relégation de la question monétaire au “second plan”. Le message était clair. Pourtant, selon Pascal Perrineau, politologue spécialiste du Front national, pendant la présidentielle “la sortie de l’euro, n’a pas été un souci majeur. Cela a pu effrayer un peu, mais dans le reste de l’Europe, les populations n’ont pas de mal à s’inscrire dans une ligne clairement anti-européenne.”
Tout ceci serait donc une série de “faux procès”, dont le FN est coutumier. “Il y a toujours eu des sensibilités différentes au FN, souligne le professeur à Sciences-Po. Les défaites remettent au goût du jour les divisions historiques autour des orientations stratégiques. Mais au FN, ces questions sont généralement atténuées par un leadership incontesté du président du parti. Or, Marine Le Pen, notamment à cause de sa prestation calamiteuse lors du débat du second tour, a incontestablement perdu de son leadership.” Alors, dans un élan d’autorité, la cheffe frontiste lâche les chiens sur son ancien protégé. Pour le politologue, “la recherche d’un bouc émissaire est une vieille tradition du parti.”
Paradoxalement, “la ligne portée par Philippot a clairement participé à la dynamique qui a permis au FN d’atteindre les 34 %, un score historique, affirme Pascal Perrineau. Avant, ils se cantonnaient à 17-18 %.” Le départ du numéro 2 pourrait porter un coup dur aux acquis électoraux frontistes faisant retomber le parti dans un travers classique de l’extrême droite française : elle se fracture dès qu’elle s’approche du pouvoir. “Au lieu de structurer et de consolider le socle électoral qu’ils ont réussi à réunir aux dernières élections, ils entrent dans les chicailleries et n’arrivent pas à sortir de l’enclave dans laquelle ils sont, renchérit Pascal Perrineau. Dans la situation actuelle, le FN régresse.” En mars prochain, le parti tiendra son congrès au cours duquel les militants voteront pour leur chef. Reste à savoir si, d’ici-là, ils pédaleront dans le couscous ou la choucroute… On a une idée de la réponse.
MAGAZINE OCTOBRE 2017