« Je rêve d’une Algérie où on ne rêve pas de s’exiler » , Anis Alkama, militant
Anis Alkama a trente ans. Psychologue de formation, il a quitté l’Algérie il y a une dizaine d’années, ce qui ne l’empêche pas de continuer à militer pour une "Algérie libre démocratique et indépendante". Très actif et très suivi sur les réseaux sociaux, nous l’avons rencontré à une manifestation contre le pouvoir algérien à Paris.
Vous vivez en France depuis une dizaine d’années, mais vous continuez à militer pour une Algérie "libre démocratique et indépendante"…
A l’ère de l'internet et des réseaux sociaux, quelqu’un qui vit très loin de l'Algérie peut tout à fait influencer l'opinion publique, faire de la pédagogie à travers des podcasts sur YouTube ou des lives sur Facebook. La notion de la présence sur le territoire pour réaliser une activité politique n'est plus aussi importante qu'avant. Il est, bien-sûr, évident qu'un engagement politique complet nécessite une présence sur le terrain. Cela n'empêche que nous pouvons agir positivement même à distance. Pour ma part, je compte rester actif quel que soit l'endroit où je réside même si je n'exclus pas également de participer à des actions sur place.
Vous dites aussi que la plupart des "influenceurs" algériens se trouvent loin du pays….
Effectivement. La répression féroce qui sévit en Algérie empêche les personnes de s'exprimer notamment sur internet. La plupart des activistes politiques ont dû s'exiler afin de se protéger et de jouir davantage de liberté d'expression et d'action. Et puis, on ne doit pas oublier la fuite massive des cerveaux, particulièrement sous les vingt années de règne d’Abdelaziz Bouteflika.
Avez-vous prévu de revenir en Algérie ?
Dans l'immédiat, revenir en Algérie est problématique : l'activité politique est particulièrement difficile en ce moment, surtout depuis la reprise en main des affaires par le chef d'État-major Gaid Salah. Ce dernier, ainsi que d'autres militaires aux manettes font subir une répression féroce en Algérie. Cela passe par des emprisonnements de militants. On dénombre plus d'une centaine d'activistes en prison. Il y a aussi le musellement des chaines publiques et privées ainsi qu'une répression "à distance" que l'on subit, même en résidant à l'étranger.
Une répression à distance ?
Oui. Le pouvoir algérien a réussi cette "prouesse dictatoriale", si je peux me permettre cette expression, celle d'empêcher la diffusion de deux chaines privées "Al Magharibia" et "Amel TV" qui émettent de l'étranger ! Leurs responsables parlent de pressions subies par des entreprises européennes qui s'occupent de les émettre. Le régime algérien en serait à l'origine. De plus, bon nombre d'observateurs politiques dénoncent une censure sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook, où il semblerait que la dictature en place utilise des moyens techniques afin de pousser le réseau social à fermer des comptes d'utilisateurs. Cela semble fonctionner, car des centaines de profils et de pages d'activistes ont été fermés, entre autres, le mien.
Dans ce climat, nul n'est à l’abri d'un emprisonnement abusif. Je peux très bien être mis en prison si je retourne en Algérie.
Vous aimeriez aussi que les Algériens de France s'investissent davantage dans l'avenir de l'Algérie…
Je souhaite que les Algériens de France, qu'ils soient nés en France ou fraîchement installés, s'intéressent davantage à leur pays d'origine. En effet, notre diaspora regorge de compétences qui peuvent servir le pays et je trouve cela désolant que l'Algérie n'en profite pas pleinement.
Vous regrettez également le peu d'intérêt des médias français pour le mouvement, alors que l'ampleur de celui-ci ne tarit pas….
Je regrette que les médias du monde entier couvrent très peu, voire pas du tout les manifestations en Algérie. Cela va faire bientôt neuf mois que nous sortons par millions dans les grandes villes d'Algérie afin de réclamer un Etat civil et non un Etat militaire. Cette constance et cette persévérance devraient être mise davantage en avant. De plus, l’opinion publique mondiale est en droit de savoir qu'en 2019, on emprisonne encore des personnes de manière arbitraire, car ils ont brandi une pancarte ou porté un drapeau berbère qui symbolise l'une des dimensions identitaires algériennes pourtant reconnue par notre Constitution.
De quelle Algérie rêvez-vous ?
Je rêve d'une Algérie où la liberté d'expression est réellement garantie, où la justice n'est pas aux ordres d'une junte militaire et où chacun pourra prendre part au développement du pays, qu'il soit "algérien d'Algérie" ou "algérien de la diaspora". Je rêve d'une Algérie basée sur la méritocratie et sur les compétences et non sur le népotisme et la corruption. Je rêve d'une Algérie où les gens veulent rester dans leur pays. Je rêve d'une Algérie où on ne rêve pas de s'exiler.