Jack Lang : “J’ai tendance à regarder le monde avec optimisme”

 Jack Lang : “J’ai tendance à regarder le monde avec optimisme”

Eric Feberberg / AFP


MAGAZINE JANVIER 2018


Figure inoxydable de la vie politique et culturelle française, l’ancien ministre 
de la Culture et de l’Education nationale préside depuis 2013 l’Institut du monde arabe (IMA) qui vient de fêter ses 30 ans. Entretien.


Depuis l’ouverture de l’Institut du monde arabe (IMA) en 1987, ce monde arabe et sa perception dans la société française ont beaucoup changé. Son art contemporain a-t-il suivi les bouleversements géopolitiques et culturels ?


Il y a eu une explosion créative incontestable dans les pays du monde arabe ces dernières années. Certes, cela varie selon les régions, mais nous assistons à un véritable changement. L’IMA a assez tôt posé son regard sur l’art contemporain arabe, en achetant notamment de très belles collections qui préfigurent les mouvements de la vie intellectuelle et artistique qui émergent aujourd’hui. Ce bouleversement n’est évidemment pas sans rapport avec les Printemps arabes, qui pour beaucoup ont été l’occasion d’une libération culturelle : street art, hip-hop, peinture… Je suis d’une nature solaire et j’ai tendance à regarder le monde avec optimisme. Quel qu’ait été le destin de certains pays, il y a depuis cette jeunesse qui a soif de s’exprimer. J’ai toujours œuvré, en tant que ministre de la Culture, et bien après encore, pour que l’on braque le projecteur sur ces artistes formidables des pays du Sud. Quand, en 1988, nous avons mis en place au Centre Pompidou l’exposition “Les Magiciens de la Terre”, visant à faire connaître l’art contemporain du tiers-monde, ce fut un pari osé qui créa à l’époque une onde choc dans le monde de l’art, dont la vision était encore très occidentale.


 


Inversement, quelle est la présence de la culture française au Proche et Moyen-Orient ?


L’art français est partout. La nouveauté, c’est qu’un certain nombre d’artistes contemporains franco-maghrébins (principalement Algérie, Tunisie, Maroc) ont atteint une renommée de dimension internationale. Qu’il s’agisse du peintre Djamel Tatah ou encore du street artiste eL Seed, pour ne citer qu’eux. Dans les institutions culturelles et les centres d’art, il y a à l’évidence une plus forte présence des pays du Sud aujourd’hui. Les artistes français et arabes sont désormais sur un pied d’égalité. Et c’est un excellent signe, cela signifie que l’on sort progressivement de cet état d’esprit étroit de domination occidentale dans l’art, ­lequel est toujours lié au politique.


 


Donald Trump a mis le feu et piétiné le droit international en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël. Selon vous, quelles vont en être les conséquences dans le conflit israélo-palestinien, clé de voûte de la paix au Proche-Orient ?


Difficile de dire ce que cet étrange personnage qu’est Trump a en tête… Jusqu’ici, tant bien que mal, les Américains avaient tenté de jouer un rôle de médiateur entre Israël et la Palestine. Ce que l’actuel Président des Etats-Unis a exprimé sur Jérusalem est proprement scandaleux et inacceptable. C’est une décision unilatérale, impérialiste et illégale ! Tout comme celle de Bush en Irak, qui a installé durablement le chaos en Orient… La position de Trump est évidemment contraire aux résolutions des Nations Unies, c’est un acte qui tourne le dos à l’idée même d’une solution à deux Etats. Il signe là une rupture. Mais on peut espérer que les USA reviendront à une politique plus positive et plus ouverte. La France et l’Union européenne doivent être plus catégoriques sur ces occupations illégales des Territoires palestiniens. Avec cette déclaration, Trump force la France et l’UE à se réveiller. Dénoncer ses propos ne suffit pas, il faut agir !


 


Lors de sa visite récente à Alger, le président ­Macron, interpellé par un jeune Algérois au sujet de la colonisation, lui a répondu : “Il faut tourner la page du passé et regarder vers l’avenir.” Qu’en ­pensez-vous ?


Après avoir qualifié, durant la campagne présidentielle, la colonisation de “crime contre l’humanité”, cela semble évidemment contradictoire ! Mais on ne peut sans doute pas vivre en ressassant perpétuellement le passé et ce n’est pas parce que l’on n’a pas connu une période qu’il faut l’ignorer. Je pense qu’Emmanuel Macron ne nierait pas mes propos. L’Algérie n’est pas une page que l’on peut facilement tourner, notre histoire commune est lourde. A l’IMA, nous menons justement une réflexion sur “Les Arabes et les Français : quelle histoire !” Je me demande aussi pourquoi ne pas envisager la rédaction d’un manuel franco-algérien avec des historiens des deux pays ? Ecrire l’histoire à quatre mains permettrait de regarder les choses dans leur vérité objective… Je ne suis pas de la génération de Monsieur Macron, c’est évident. Je suis arrivé à la politique avec la guerre d’Algérie et l’anticolonialisme m’a beaucoup porté. Chacun vit en fonction de son âge et de son époque, mais nous sommes empreints de notre passé et de l’avenir, c’est indéniable. La formule de Régis Debray “la mémoire est révolutionnaire” l’illustre bien : elle nous aide à concevoir l’avenir, sans quoi on vacille dans un monde dématérialisé, coupé du sol. L’histoire est là, dans le présent, et dans les œuvres d’art contemporain.


 


Le Maroc occupe-t-il, selon vous, une place parti­culière dans les relations françaises et dans le ­paysage arabe, au sens de passerelle vers l’Afrique ?


Chaque peuple a sa singularité. La singularité du ­Maroc pourrait être, entre mille autres choses, d’avoir échappé à l’Empire ottoman et à un colonialisme français brutal. C’est une terre de jonction, en effet, en lien avec l’Afrique dans sa culture, et une proximité avec l’Europe et la Méditerranée… Nous recevons régulièrement le roi Mohammed VI à l’IMA, pour des expositions. Nous avons avec le Royaume, c’est vrai, une relation d’exception. Mais il n’y a à mon sens aucune hiérarchie entre les pays du Maghreb ! Je note, en tout cas, qu’Emmanuel Macron s’inscrit dans la ligne de plusieurs de nos présidents, comme François Mitterrand et François Hollande, quant à la pacification de nos relations avec les pays arabes. Et c’est heureux ! Il faut mener cette politique d’équilibre jusqu’au bout. Selon moi, malgré le contexte que l’on connaît, le climat sur le plan des échanges et du métissage progressif est plutôt sain. Le mouvement d’ouverture est d’ores et déjà engagé. Là encore, je suis optimiste.