France/Maroc – Les vérités qui dérangent
Viendra-t-il, ne viendra pas ? Que se passe-t-il encore ? Annoncée pour le 15 novembre 2018, annulée plusieurs fois auparavant, la visite de travail de Macron dans le royaume n’aurait lieu qu’en mars. Un déplacement qui devrait avoir lieu bien après la visite à Tunis, prévue les 31 janvier et 1er février 2019. Et encore, vu les couacs qui se suivent et se ressemblent entre Paris et Rabat, il est permis d’en douter.
Pour être plus précis, c’est de Paris que sont parties les premières estocades d’une nouvelle guéguerre qui ne dit pas son nom. Au menu, l’affaire Adib et le dossier Gallay. Pour le premier, comme au bon vieux temps des colonies, la justice française a convoqué le président de la Chambre des conseillers Habib el-Malki (rien que ça !) et plusieurs journalistes marocains à la suite d'une plainte en diffamation de Mustapha Adib, ex-militaire résidant en France.
Pour ce qui est du dossier de Thomas Gallay, ce Français condamné au Maroc en 2016 pour "appartenance à un "mouvement terroriste", Macron est-il aussi naïf pour croire que sa promesse à la maman de l’intéressé de s'occuper "personnellement" de cette affaire allait passer comme une lettre à la poste à Rabat ? Et ce, au moment ou tous les chefs des services de sécurité de la planète font escale à Rabat pour profiter de l’expérience marocaine en matière de lutte contre le terrorisme !
D’aucuns argueront qu’il s’agit là que de vieilles histoires et que le patron de la police marocaine en personne a failli se faire coffrer à Paris par des flics venus s’enquérir de sa présence dans la capitale des lumières en 2014.
En attendant, quels sont au juste les dégâts ? Bien sûr le report que devait effectuer le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian le 10 septembre ne porte pas vraiment à conséquence, mais que cherchent vraiment les commanditaires français de cette énième affaire ? L’entourage de Macron aurait-il pris ombrage des honneurs réservés à Hollande à chaque fois (et il le fait de plus en plus souvent) que l’ex-président français débarque dans le royaume ?
D’autant plus qu’on crédite l’ancien locataire du palais de l’Elysée d’une ferme volonté de faire son come-back politique. Alors que pour du côté marocain, il n’y a là aucune espèce de calcul, le pays n’a pas usurpé sa tradition d’hospitalité et pratique depuis toujours une sorte de politique de fidélisation dont le palais use à satiété.
Bien sûr, officiellement et même officieusement, dans l’entourage de l’Elysée, on se défend d’avoir le moindre doute sur la qualité des relations entre les deux pays, et on évoque « l’excellence des relations » mais n’empêche. Notez que le capitaine Adib est adoubé par certains milieux liés aux services français, tout simplement parce qu’il revendique le titre pompeux « d’opposant à Mohammed VI », et les journalistes marocains choisis pour servir de faire valoir à ce procès sont étiquetés comme proche du makhzen.
Pourquoi cette focalisation sur le chef d’Etat marocain par les politiciens d’un Etat supposé être le premier allié du royaume ? D’abord, il ne faut pas se tromper, au plus haut de la pyramide du pouvoir français, les avis sont partagés et le royaume y compte autant d’amis voire, plus de soutiens inconditionnels que de détracteurs; mais, à coup sûr le style M6 dérange forcément ceux qui ont pris l’habitude de voir dans le Maroc, une simple arrière-cour de l’Elysée.
Le monarque qui cultive un mutisme flegmatique face aux rumeurs suit avec un regard parfois amusé la profusion de fake news, les unes plus grossières que les autres, concoctées par nombre d’officines et qui le ciblent directement.
Dans la même veine, quand tous les chefs d'Etat n’aiment rien tant que se farder de la lumière des projecteurs, le monarque tourne le dos aux micros et caméras des journalistes. Autant d'indices qui montrent que la discrétion légendaire qu'on prête au roi du Maroc n’est pas surfaite.
Si on ajoute à cela que tous les services du monde se sont cassés les dents sans pouvoir infiltrer le premier cercle et même le second cercle du palais, on comprend mieux la rage de ceux qui murmurent à l'oreille du président en France ou chez nos voisins les plus immédiats d’ailleurs.
C’est peu dire qu’avec ce nouveau coup, l’Elysée se lance dans un mauvais casting surtout que du côté marocain, on sent de la nervosité dans l'air. La posture coloniale, c'est ce qu’abhorrent le plus les Marocains, elle est encore plus insupportable quand elle est le fait de l’ancienne métropole.Après tout, on n’a pas encore soldé le passif du protectorat, d’autant plus que bon nombre de Marocains, comme le chantait si bien une star de la chanson populaire, pensent que « mieux vaut le goudron de ma patrie que le miel des autres nations ».