Faites plaisir à Zemmour, appelez-vous Habib ou Emma

 Faites plaisir à Zemmour, appelez-vous Habib ou Emma

Crédit photo : Joël Saget / AFP


L'attaque d'Eric Zemmour contre Hapsatou Sy n'est basée sur aucune vérité statistique mais n'est pas anodine. Derrière cette histoire de prénoms, se cache une plus dure réalité : la volonté de l'essayiste de mettre au goût du jour, l'idée d'une communauté qui n'est pas "intégrée" à la société française. Décryptage.


L'ancien chroniqueur du service public (rappelons que c'est Laurent Ruquier qui a "lancé" la carrière d'Eric Zemmour sur France Televisions) s'était déjà agacé sur la fille de Rachida Dati, prénommée Zohra. Reprenant la même thématique, durant l'émission de Thierry Ardisson, l'essayiste s'emporte contre la chroniqueuse Hapsatou Sy, déclarant :


"Normalement, chez moi, en tous cas depuis une loi de Bonaparte qui a malheureusement été abolie en 1993 par les socialistes, on doit donner des prénoms dans ce qu'on appelle le calendrier, c'est-à-dire, les saints chrétiens"


Zemmour, en donnant des précisions juridiques, souhaite apporter une affirmation que personne ne peut contester. Et pourtant, cette phrase est bourrée d'inepties et de contre-vérités :


–  "Loi de Bonaparte" : L'article Ier de la loi du 11 germinal de l'an XI (1er avril 1803) ne parle pas du "calendrier des saints" mais indique que les prénoms seront "les noms en usage dans les différents calendriers et ceux des personnages connus de l'histoire ancienne". Le but à l'époque était d'éviter les nouveaux prénoms comme Marat ou Brutus (source Le Monde)


"malheureusement abolie par les socialistes" : Le cadre de la loi de Bonaparte a été assoupli en 1966 par Charles de Gaulle. Les "enfants français doivent recevoir des prénoms français" mais "Ivan, Nadine, James" sont tolérés. De plus et précision importante, le texte de De Gaulle prévoit "l'admission des prénoms coraniques pour les enfants de Français musulmans". (Source le Monde). La modification de 1993 à laquelle Zemmour fait référence, est la liberté accordée aux parents dans le choix de l'enfant, fixant comme  limite "l'intérêt de l'enfant".


– "Des prénoms dans le calendrier, c'est-à-dire, les saints chrétiens" : L'essayiste croit appuyer sa théorie en voulant que les Français d'origine étrangère portent des prénoms dans le calendrier des saints. Suivons sa théorie jusqu'au bout pour nous rendre compte que plusieurs prénoms de saints ont des similitudes avec des prénoms arabes : 


Sainte Emma (19 Avril) qui signifie en arabe Don, Faveur ou Grâce,


Saint Habib (27 Mars) qui signifie en arabe Aimé, Très cher


Sainte Ida (13 Avril) qui signifie en arabe Fête, Cérémonie


Sainte Marina (20 Juillet) qui signifie en arabe Agile, Souple, Rapide


Sainte Raïssa (5 Septembre) qui signifie en arabe La croyante


Sainte Inès (10 Septembre) qui signifie Bienveillance, Caresse, Compagne


Nous n'oublions pas non plus les prénoms proches de même phonétique : 


Sainte Ella (1 Février) qui signifie en arabe Lumière (aussi écrit Hella)


Saint Lazare (21 Février) qui signifie Chanceux (aussi écrit Lazhar)


Saint Camille (14 Février) qui signifie en arabe parfait, beauté (aussi écrit Kamil)


Sainte Ghislaine (10 Octobre) qui signifie en arabe Gazelle (qui s'écrit aussi Ghizlaine, Ryslaine ou Ghislane)


Saint Abel (5 Août) qui signifie en arabe Fils (aussi écrit Habel)


Bon courage à Eric Zemmour pour démêler les "vrais français" des autres comme il aime à le dire. Comme dirait le proverbe, "Dieu reconnaîtra les siens".


– "Corinne, ça vous irait très bien"


C'est le journaliste de La Croix, Alain Rémond, qui soulève le problème de Corinne. Si les Corinne sont bien fêtées le 18 mai, elles ne figurent pas dans le calendrier des Saints Chrétiens, car il n'existe pas de Sainte Corinne dans l'histoire du christianisme. (Source La Croix)


Pour Gilles-William Goldnadel, "c'est limite" et pour Natacha Polony, "Nathalie, c'est mieux" 


Si Eric Zemmour estime que c'est limite, c'est pour la deuxième partie du prénom. Car si le prénom Gilles renvoie à Saint Gilles (1er Septembre), William renvoie à Saint William (chez les anglicans). L'équivalent français est Saint Guillaume (10 Janvier). Par contre, pour Natacha, pas de souci puisqu'il existe bien une Sainte Natacha (26 Août) 


– "La violence, elle est du côté du peuple français qui reçoit des gens qui ne veulent plus s'appeler comme eux. La société s'est désagrégée"


Pour vérifier les dires d'Eric Zemmour, nous avons consulté la base de données des prénoms établie par l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (Source INSEE). Il fait apparaitre les choses suivantes :


En 2017 :


Sur les 20 prénoms féminins les plus donnés, il n'y en a que 8 issus du Calendrier des Saints (Emma, Louise, Alice, Léa, Rose, Ines, Camille, Juliette). Sur les 50 premiers prénoms féminins, ceux pouvant être portés par des musulmanes (mais pas exclusivement) sont Lina (6ème position), Inaya (30ème position), Sofia (32ème), Louna (34ème) et enfin Aya (47ème)


Pour les 20 prénoms masculins les plus donnés, il n'y en a que 4 issus du Calendrier des Saints (Louis, Jules, Paul et Gabin). Sur les 50 premiers, ceux pouvant être portés par des musulmans (mais pas exclusivement) sont en 5ème position (Adam), 21ème position (Mohamed), 35ème position (Rayan) et 41ème position (Yanis). 


De 1993 à 2017 : 


Sur les 20 premiers, les prénoms féminins qui "sonnent" musulmans mais pas de manière exclusive sont Emma (3ème position), Sarah (6ème position) et Inès (9ème position). Sur les 20 premiers pour les garçons, aucun ne peut être attribué à un musulman. Le premier prénom pouvant être porté par un musulman (mais pas de manière exclusive) est Yanis (30ème posiition). Mohammed n'arrive qu'en 41ème position avec 42666 personnes portant ce prénom.


De 1966 à 2017 : 


Il est vrai que la grande majorité des prénoms féminins proviennent du calendrier des Saints. Toutefois, il en existe plusieurs déjà qui n'en font pas partie dans les 20 premiers (Manon, Laura ou Sarah). Le premier "sonnant" musulman (mais pas exclusivement) est Sabrina (46ème position surtout donné à la fin des années 70), Nadia (90ème position) et enfin Lina (98ème position donné surtout à la fin des années 2000). Pour les garçons, Mohamed se classe en 71ème position.


On est bien loin de "ces gens qui ne veulent pas s'appeler" comme les "Français". Aussi, pourquoi Eric Zemmour fait une fixette sur cette histoire de prénoms ?


L'idée est de faire passer un message. La France subit une vague migratoire, les musulmans sont partout et ils ne "s'intégrent" pas. La preuve, ils donnent à leurs enfants des prénoms qui ne sont pas "assimilables" par la société française et la société se "désagrège". Le sens sous-jacent est de justifier des discriminations racistes avec cette fameuse phrase, "les immigrés ne se sont pas intégrés". Pour lui, même une ministre de la République Française, Rachida Dati donne un prénom "non assimilable". La théorie n'est basée sur aucune réalité statistique. Mais il faut répéter le message pour l'ancrer dans les esprits.


La répétition de l'injonction est de faire passer le message qu'il y a une limite entre un "eux" indéfinissable (mais qui serait issu des dernières vagues migratoires) et un "nous" bien français. Il convient de rappeler que parler à l'heure actuelle encore "d'intégration" pour des Français de 2ème, 3ème, voire 4ème génération montre encore la volonté rance des théories de l'essayiste.


La réaction d'Hapsatou Sy, prête à abandonner son travail ou la campagne twitter (#MerdeEricZemmour) de Yassine Belattar (dont le grand-père a été sur les champs de bataille durant la seconde guerre mondiale) ne sont que les réactions saines de Français exaspérés d'être constamment ramenés à un aspect de leur identité qui permet de justifier une discrimination raciste et systémique.


Nous avons été tentés un instant de débuter cet article en demandant à Eric Zemmour, de pouvoir l'appeler Eric Olive. Car oui, rappelons le, Zemmour signifie "Olive" en langue berbère. Puis nous nous sommes ravisés car, contrairement à lui, nous ne souhaitions pas lui nier cet aspect de son identité. Nous prenons même un malin plaisir à savoir que l'essayiste le plus "rance" de France porte un nom de famille d'origine algérienne. Au final, n'est-ce pas ça l'intégration à la Française ?