Bariza Khiari : « Le Sénat a toujours porté une voix singulière et constructive »
Bariza Khiari, sénatrice de Paris, ancienne membre du PS devenue déléguée nationale de La République en Marche, sort de deux mandats qu’elle ne renouvellera pas. “Le Courrier de l’Atlas” fait le point avec l’élue.
Vous avez décidé de ne pas vous représenter aux prochaines sénatoriales… Quel bilan faites-vous de vos deux mandats et quels sont vos projets ?
Mes deux mandats étaient passionnants : j’ai été élue en 2004 et j’ai choisi de siéger à la commission des affaires économiques. Pourtant, dès mon élection, le groupe socialiste m’a demandé de piloter le texte sur la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde). Ce combat me tenait d’autant plus à cœur que j’avais porté, au sein du PS, cette question pendant des années.
J’ai aussi été à l’initiative d’une proposition de loi visant à supprimer la condition de nationalité dans l’accès à certaines professions privées. Si un étudiant étranger, hors Union européenne, réussissait le redoutable concours de médecine et validait ses années d’études, il ne pouvait prétendre, à l’instar des Français ou des Européens, à une inscription de droit dans l’Ordre des médecins. Ces restrictions visaient toutes les professions de santé, mais aussi d’autres métiers ; il me semblait inacceptable que l’appartenance l’emporte sur les compétences et, à ma très grande satisfaction, j’ai été suivie, à l’unanimité des groupes politiques, sur cette problématique. Ce fut une très belle victoire. J’ai porté également le texte sur les “chibanis”, qui a été voté dans les deux assemblées, mais dont les décrets n’ont pas été au rendez-vous.
En 2011, j’ai été élue première vice-présidente du Sénat. Je me suis retrouvée, pendant trois années intenses, en position d’autorité symbolique. Je me suis élevée contre le texte portant sur la déchéance de nationalité qui a été pour moi le naufrage de la gauche.
Qu’allez-vous faire maintenant ?
Je vais m’impliquer dans le mouvement La République en marche (LREM) pour construire dans la durée, après nos victoires aux dernières élections, le parti politique du futur. C’est un vrai challenge. Par ailleurs, je reste présidente de l’Institut des cultures d’Islam qui est un établissement culturel de la Ville de Paris. Je travaille avec mon équipe à la présentation d’une exposition sur la calligraphie qui s’intitulera “Lettres ouvertes : de la calligraphie au street art”. Elle permettra de dresser le panorama d’un renouveau artistique foisonnant, lequel illustre les métamorphoses dans la création contemporaine d’un patrimoine artistique multiséculaire des cultures d’Islam.
Qui va vous remplacer, comment s’est articulé ce choix ?
Je siège à la commission d’investiture pour les sénatoriales : il faut un dosage subtil. Expérience, compétences, convictions, mais aussi parité et renouvellement. C’est notre feuille de route. A la différence des élections législatives, le collège électoral pour l’élection sénatoriale est composé d’élus qui sont en attente de candidats qui comprennent les problématiques territoriales. Il s’agit d’un “casting” très différent. La Haute Assemblée (le Sénat, ndlr) a toujours travaillé différemment de l’Assemblée nationale. Il faut maintenir cet équilibre institutionnel.
Vous avez quitté le Parti socialiste pour rejoindre La République en marche, pourquoi ?
Le Parti socialiste avait, depuis plusieurs années, arrêté de réfléchir et d’arbitrer. Il s’était ainsi coupé des intellectuels et de la société en général. Dans la recherche d’une éternelle synthèse, le PS avait renoncé à mettre en débat les grandes questions. Ce naufrage intellectuel et moral a éclaté avec la funeste proposition de la déchéance de nationalité. Au gouvernement, seuls Christiane Taubira (qui a démissionné) et Emmanuel Macron ont osé faire part de leur désaccord. J’ai, pour ma part, et avec seulement 33 autres sénateurs socialistes sur les 115 du groupe au Sénat, déposé un amendement de suppression de cette disposition. Cet événement marque indubitablement mon “divorce” avec ma famille politique.
Malgré le projet très libéral que vous soutenez, vous définissez-vous encore comme une femme “de gauche” ? Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Notre projet n’est pas comme vous le dites “très libéral”. L’économie a changé, nous devons en tenir compte. Il faut à la fois libérer les initiatives et protéger les salariés. Soyons attentifs aux mots. Il suffit de regarder ce qui se passe dans d’autres pays pour mesurer ce que signifie le libéralisme. La France est une économie régulée et doit le rester. Toutefois, il nous faut réfléchir à de nouvelles régulations qui prennent en compte la mondialisation. Nos concitoyens sont en droit de penser que notre société est bloquée. Qu’elle fait plus de place à la contrainte qu’à la liberté, qu’elle bride l’innovation et la créativité, qu’elle préfère la rente à l’effort. Il nous faut libérer le travail et l’esprit d’entreprise et accompagner les salariés par une offre de formation de qualité tout au long de la vie.
Oui, je reste une femme de gauche car la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité forgent mon combat politique. Je considère que nous ne devrions pas choisir entre la liberté et l’égalité, mais que les deux peuvent s’équilibrer.
Que pensez-vous de la décision d’Emmanuel Macron de réduire le nombre de parlementaires ?
C’est une bonne chose. Cela renforcera le rôle du Parlement. Il est souhaitable dans le même temps de renforcer les moyens de travail octroyés aux parlementaires, notamment au regard du contrôle de l’action publique et de l’évaluation des lois.
Vous étiez membre de la commission de la défense et des forces armées, que pensez-vous de la coupe budgétaire annoncée et de la relation plutôt conflictuelle qui se met en place entre le pouvoir politique et les généraux de l’armée française, notamment après l’affaire avec le général de Villiers ?
Il n’y a pas de relations conflictuelles, il y a un changement de gouvernance. J’ai énormément d’estime et d’admiration pour l’armée et une grande conscience de ses missions ainsi que du rôle majeur qu’elle devra tenir dans les années qui viennent.
Le Sénat, de par la voix de sa commission des lois – et notamment le président de cette commission, Philippe Bas (LR) –, cherche à se positionner comme l’un des principaux “contre-pouvoirs” au président de la République. Quel est votre avis sur ce sujet ?
Le Sénat a toujours porté une voix singulière et constructive. Je suis attachée à cette spécificité. Par ailleurs, les sénateurs, moins soumis à la pression médiatique et électorale, travaillent dans le souci de l’intérêt général et de celui des collectivités locales. Il ne s’agit pas d’un “contre-pouvoir”, mais d’une spécificité institutionnelle très importante.
MAGAZINE SEPTEMBRE 2017