Un peu de décence, s’il vous plait. On meurt !
On s’invective sur les plateaux. On s’en prend aux personnels soignants en leur demandant d’aller « vivre ailleurs ». On s’aide aussi et on partage des beaux moments. Si la crise sanitaire a fait apparaître les mauvais et bons comportements, n’oublions pas le chagrin des familles ayant perdu un proche et dont le deuil est « usurpé ».
La mort de Bill Withers m’a ému. Grand fan, j’aimais me délecter de ses mélodies (« Ain’t no sunshine », « Just the two of us », « Lean on me ») et d’une chanson en particulier, « Grandma’s hands ». Cette évocation des mains de sa grand-mère ne cesse de me ramener à la mienne, qui nous a quitté il y a quelques années. Comme pour toutes les personnes disparues que j’aimais, cette chanson est devenue, au fil des ans, et sans que je me l’explique, le symbole du « rappel aux morts », avec un brin de nostalgie, rempli de tendresse et des moments que nous avons partagés. Toute famille traversée par le deuil, comprendra de quoi je parle.
Le cirque médiatique préfère le spectacle
Le temps du deuil n’est pas anodin. Des commentaires émus de mon collègue Sylvère-Henri Cissé sur le président de l’OM, Pape Diouf à ceux, pris au hasard des réseaux sociaux, de la syndicaliste Linda Kebbab évoquant Saïd, un formateur de la police nationale, les témoignages sur la perte d’un être cher, sont nombreux dans les réseaux sociaux. Pas assez à mon goût sur nos télévisions !
Le cirque médiatique préfère le spectacle. Et, il n’est pas beau à voir en ce moment. De la mesquinerie, de l’insulte et des invectives ! Que dire des propos intolérables d’un médecin et d’un chercheur, proposant, sans foi ni loi, de « tester » les vaccins sur les pays africains ? Que dire d’un chroniqueur économique qui, « pensant que son micro était éteint », évoque l’enterrement de « Pokémons » pendant les images de l’hommage aux victimes en Chine ?
Bien sûr, il y a les excuses mais tout n’est pas permis. Les chaînes d’information osent tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît ! « On » laisse l’ancien de mai 68, Daniel Cohn-Bendit demander au Pr Raoult de « fermer sa gueule ». « On » tolère qu’Alain Duhamel, qui animait son premier débat présidentiel à ma naissance en 1974, le traite de « déséquilibré ». Christophe Barbier, connu pour ses tirades à l’emporte-pièce, lui évoque que « Macron ne craint pas le vote des retraités, car en 2022, beaucoup seront morts. » Dans le même genre, le journaliste Yves Calvi parle de « pleurnicherie hospitalière » dans son émission. Repris par un médecin sur le plateau, il évoque, sans trembler du menton, pour se justifier le fait de « présenter tous les soirs son émission.» Les noms d’oiseaux fusent car il faut faire le buzz.
Notre rôle, en tant que médias, n’est pas de tout laisser passer. Nous ne savons pas tout. Nous essayons d’apporter des réponses et c’est notre rôle, n’en déplaise à certains. Notre enquête sur Famar Lyon ou sur le vol Tunisair Tunis-Pékin forcé de faire demi-tour ont permis, avec d’autres collègues, de mettre le débat sur le devant de la scène. Les articles de ma collègue Nadia Sweeny sur la crise de masques, de Mediapart et bien d’autres participent du même phénomène. Nous sommes nombreux dans notre corporation à soulever des lièvres, à tacher de comprendre et de trouver des réponses à tout ce qui ne marche pas durant cette crise. Nous ne le faisons pas par plaisir du scoop mais pour apporter connaissance au grand public, les réponses adéquates à leurs questions.
Le journaliste de télévision doit jouer l’arbitre sur son plateau et non pas laisser tout passer. Même les yeux rivés sur leur audience, et compte tenu du « mégaphone » mis entre leurs mains, ils doivent être plus vigilants et plus concernés. On m’a rapporté que le grand débat au sein d’une rédaction d’un média national était de savoir si l’on devait ou pas couvrir les applaudissements à 20h00 pour le personnel soignant, parce que ça commençait à les fatiguer !
Ces « pleurnichards » ont réussi à nous réunir
« On » en est là ! «On » est prêt à sacrifier, pour l’antenne, ce petit moment de solidarité nationale qui le temps d’une minute, permet de voir ses voisins sans même leur parler, de lancer des bravos, voire même pour certains de redoubler d’ingéniosité pour séduire leur voisine. Ces fameux « pleurnichards » ont réussi à nous réunir. Pourtant, « on » leur a demandé de gérer avec des moyens que nous leur supprimions. « On » les a obligé à transformer « le patient en client ».
Non content de ne pas leur donner juste les outils nécessaires à l’exercice de leurs métiers, « on » les a accablé d’incivilités. « On » les a « invité » à se loger ailleurs quand « on » ne les a pas carrément viré de leurs logements. « On » leur demande de se taire et de ne pas signaler ce qui ne tourne pas rond. Des déchirements pour ces hommes et femmes qui se lèvent la boule au ventre, risquent leurs vies et ne méritent pas ça. Conseillons au 1er flic de France, Didier Lallement, de mener à bien ces enquêtes plutôt que de créer des polémiques inutiles ! Ce « on » a des noms. Des comptes seront demandés. Le hastag #Onoublierapas en fait la liste.
Il en va de même de ses moqueries des gens bien sous tous rapports, qui qualifient « d’apaches », les gens qui ne respectent pas le confinement. Sans le justifier, il convient de comprendre que vivre à 8 dans un 20 mètres carrés des quartiers populaires, n’est pas aussi simple que dans sa maison de campagne de Normandie ou sa villa d’Anfa à Casablanca. Pour certains, le confinement, c’est aussi la perte de leur entrée d’argent. Tachons de les aider plutôt que de se réjouir du retour de la matraque !
La France est belle quand elle est solidaire
Avec un ami, nous aimions débattre de savoir si l’homme était mauvais ou bon. Pour moi, la France n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle parle de « Fraternité ». Airbnb a créé « Appartsolidaire », des logements gratuits pour le personnel des hôpitaux, maisons de retraite et hébergements d’urgence. Un avocat se propose de prendre les affaires d’incivilités contre les soignants en probono. Des bailleurs sociaux de Seine-Saint-Denis parlent de report de loyers. Ici ou là, des bibliothèques partagées se mettent en place. Des adolescents aident leurs aînés pour faciliter le confinement. On écrit des chansons pour les soignants (Merci à toi O soignant sur l’air des Béruriers Noirs notamment). On se délecte des vidéos de Pierre-Emmanuel Barré, qui n’a jamais aussi porté son nom de famille. N’oublions pas non plus, ces hommes et femmes de cœur, qui viennent en aide aux sans-abris !
Ailleurs, dans le monde, ça bouge aussi. Le magazine National Geographic pour sa part, propose des bourses de 1000 à 8000 dollars pour aider les journalistes à couvrir la crise sanitaire. En Belgique, l’agence immobilière Latour & Petit de Bruxelles et Namur, a décidé de proposer des logements inoccupés gratuitement aux personnels soignants. Le monde est beau. Soyez-en surs !
« #Accrocheunchiffon »
Ecrire sur la mort n’est jamais vendeur ! « C’est anxiogène », diront certains mais la grande faucheuse est bien là. A l’heure où j’écris ces lignes, nous en sommes à plus de 270 morts au Maghreb, 9000 en France et près de 65 000 dans le monde. Derrière ces chiffres, il y a autant de familles endeuillées, de pleurs, d’émotions et de parents à qui l’on a rajouté un deuil « usurpé » du fait du virus. Il est grand temps pour nous, de cesser ces inepties de foire d’empoignes, de compatir avec eux et de leur faire passer un message qu’ils ne sont pas seuls.
Pour les soignants, nous applaudissons. Pour les familles en deuil, un geste simple suffira pour marquer notre respect. Accrochez, sur vos balcons, vos fenêtres ou sur vos cœurs « un morceau de chiffon » blanc ou noir. Il réchauffera, je l’espère, le cœur des personnes endeuillées par cette catastrophe planétaire.