Vote de défiance contre Habib Essid

 Vote de défiance contre Habib Essid

Le Parlement tunisien a retiré samedi 30 juillet 2016 sa confiance au gouvernement de Habib Essid. FETHI BELAID / AFP


 


Hatem M’rad


Professeur de science politique


 


N’ayant pas voulu présenter sa démission, comme le lui demandait le Président Essebsi, ou comme lui laissait-il entendre, Habib Essid a été acculé à affronter le Parlement qu’il savait à l’avance acquis à la majorité, à l’initiative du gouvernement d’union nationale et à l’accord de Carthage, signé déjà par neuf partis et trois grandes organisations professionnelles représentatives. Essid se délectait de prendre l’opinion à témoin et de ressortir les incohérences des partis, notamment de Nida Tounès, du Président et même du nouveau système parlementaire dans son face-à-face avec le parlement.


 


Habib Essid a été désigné de force par Essebsi en personne, contre la volonté de son propre parti, pour ne pas mécontenter les islamistes et les membres de la coalition. Celui-ci désirait voir un homme neutre diriger les destinées du gouvernement. La solidité et la stabilité gouvernementales l’emportaient nettement dans son esprit sur la prise en compte de la majorité de son parti Nida Tounès. Celui-ci lui a, depuis, gardé rancune. Certains membres l’ont même quitté, ainsi que pour d’autres raisons, pour créer un autre parti autour de son désormais rival Mohsen Marzouk.


 


Une fois désigné, Essid n’a cessé de repousser les interventions de Nida Tounès et du fils du Président dans l’action gouvernementale. Homme d’Etat croyant aux vertus du service public, il ne supportait pas l’idée que les partis de la coalition puissent avoir voix au chapitre dans son propre gouvernement, même si c’est cette même majorité qui lui a voté la confiance en janvier 2015. Il tenait certes son pouvoir et sa légitimité du parlement et du président de la République, mais en tant qu’homme neutre, il ne voulait pas se laisser déborder par le parti majoritaire, qui voulait lui imposer les nominations aux postes clés, notamment aux gouvernorats et aux délégations. Après tout, pensait-il, il a été désigné chef du gouvernement pour sa neutralité, pour son sens de l’Etat, pour son esprit non partisan. Il a alors fini par mécontenter Nida Tounès d’abord, puis progressivement le président de la République qui, a fini par choisir son camp, comme pour la scission du groupe de« Machrou Tounès », et opter pour son parti etpour le camp de son propre fils, Hafedh Caïd Essebsi, qui tient les rênes du parti.


 


Prenant prétexte des insuffisances et de la lenteur de l’action gouvernementale sur le plan économique et social et de l’impuissance de l’autorité de l’Etat, le Président décide d’abandonner le chef du gouvernement à son sort, d’autant plus que les municipales approchent, que Nida n’a plus la majorité au Parlement et qu’un éventuel gouvernement de consensus ou de gouvernement d’union nationale serait utile, avant comme après les municipales, pour gérer cette phase de transition. Essid a mal digéré l’initiative du président qu’il trouvait soudaine et qu’il savait dirigée contre lui. Le président a pris l’initiative du gouvernement d’union nationale sans le consulter. Mais pourquoi le président devrait-il le consulter s’il décide de changer de politique et d’orientation ? Peut-être que non politique de formation, le chef du gouvernement n’a pas assez compris les différents messages subtils que lui lançaient régulièrement, et depuis plusieurs mois déjà, le président Essebsi dans ses déclarations à travers les médias. Des indices qui indiquaient pourtant que le président était sur le point de changer l’ordre des choses, et que la machine gouvernementale lui paraissait grippée. Essid feignait peut-être aussi à son tour de ne pas comprendre ce que tout le monde avait déjà compris, en espérant que la conjoncture finira par lui être plus favorable.


 


Ce qui explique la lutte larvée entre le chef du gouvernement, le président Essebsi, Nida Tounès et le fils Essebsi. La décision de Habib Essid de s’en tenir à la Constitution (article 98) qui l’autorise à poser la question de confiance au parlement pour la poursuite de l’action gouvernementale, et de prendre encore l’opinion à témoin est, sans doute, la suite logique et chronologique d’un conflit, prenant l’allure d’un règlement de comptes entre ces différentes autorités, partis et personnes. Mieux encore, le schéma est devenu celui d’une lutte féroce pour le pouvoir. Essid voulait montrer à l’opinion les quelques bienfaits de l’action gouvernementale, malgré les insuffisances, dénoncer l’esprit complotiste de Nida Tounès et mettre à mal le président qui l’a « trahi ». Peut-être que les louanges qu’il a reçues de la part des députés pour son patriotisme, son intégrité, son sens de l’Etat ou leurs applaudissements après le vote de défiance à la majorité absolue (par 118 voix sur 217) pouvaient le réconforter et le rassurer.


 


Mais, l’essentiel n’est pas là. Un homme neutre, voire isolé, sans parti, sans appui populaire, même ayant le sens de l’Etat, est-il en mesure de défier un parti majoritaire, ou même peu majoritaire ou un président de la République, lui-même chef d’une majorité? On ne le pense pas. Si le chef du gouvernement Essid a gagné la bataille morale vis-à-vis de Nida Tounès et du président Essebsi, il n’a pas pour autant gagné la bataille politique, qui seule compte dans ces circonstances. Il est aujourd’hui un gouvernement démissionnaire, comme l’indique la Constitution. La démission est collective, elle concerne tous les membres du gouvernement, solidaires dans l’action gouvernementale. Il a certes marqué quelques points, puisque depuis quelques semaines, il a réussi à gagner les faveurs d’une opinion qui lui était un peu hostile jusque-là, à faire douter Nida Tounès et le président sur le bien-fondé de leur initiative. Mais, ce sont souvent, comme toujours, les résultats qui comptent en politique. La morale peut toujours appuyer l’efficacité politique, elle ne la remplace pas.


 


Sauf à considérer que Essid, prenant goût à la politique, s’est présenté devant le parlement pour préparer un avenir politique, à la manière de Mehdi Jomâa. Ce qui n’est pas exclu.


 


Hatem M’rad