Point de vue – Tunisie. Une élection de type administratif
Le premier tour de l’élection du Conseil national des régions et des districts a été « boudé » par les électeurs des régions et des districts. En sera-t-il de même au second tour ? En tout cas, cette élection est d’un type nouveau dans les annales politiques.
Le dimanche 4 février, aura lieu le deuxième tour des élections du « Conseil national des régions et des districts ». Au premier tour, qui s’est déroulé le 24 décembre 2023, sur 9.080 987 inscrits, seuls 1 059 004, c’est-à-dire 11,66% du corps électoral, d’après les résultats de l’ISIE, ont daigné voter et se déplacer aux urnes. Beaucoup d’observateurs, qui ont vu un peu partout des bureaux de vote vides ou quasi vides, ont douté même de ce pourcentage officiel. En somme, une élection qui n’intéresse personne, d’un nouveau type, inconnu de tous, sans débat aucun, ni politique ni local, sans profils connus, sans campagne médiatique ou de terrain.
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A la radio, on a entendu des citoyens se plaindre de cette élection iconoclaste. Ils se plaignent qu’ils ne savent rien sur cette opération politiquement artificielle, imposée verticalement par la volonté d’un homme obtus. De fait, on n’avait pas vu de campagne (trop timide, effacée, dépolitisée), ni de débat, même de surface. Les citoyens se plaignent de ne pas connaitre personnellement les candidats, d’autant plus qu’il s’agit d’élections locales, de proximité, censée rapprocher les habitants des candidats. Outre qu’il s’agit de la première élection de type sub-local même, jamais organisée auparavant dans le pays. Jusque-là, on ne connaissait que les élections municipales, élections locales par excellence, pas tout à fait politique à vrai-dire, mais dans laquelle le politique parvient à s’introduire subrepticement. On a vu aussi que les propositions des candidats sont vagues et très générales, même pour les affaires des régions. Certains candidats se bornent à Tunis, non pas à discuter avec les consommateurs attablés, mais à remettre aux gérants des cafés des tracts à distribuer à des consommateurs indifférents. C’est comme si ces candidats ne connaissaient pas les spécificités des localités qu’ils sont appelés à représenter. Tous disent presque la même chose dans le vague : propositions de raccordement en eau potable, pistes agricoles, renforcement du secteur agricole, développement des services administratifs, sociaux, culturels, de santé, soutien aux catégories agricoles, promotion des clubs sportifs, tourisme écologique, entretien des routes régionales, soutien financier aux familles nécessiteuses, situation foncière des terres collectives dans certaines régions, problème des périmètres irrigués, autonomisation économique des femmes, etc. Tant de choses qu’on aurait souhaité les voir expliquer pédagogiquement et dans le détail : modalités, plan, méthodes, appuis politiques, processus à suivre progressivement, sources de financement.
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Comment peut-on alors appeler cette élection de trop, qui, visiblement n’intéresse personne, qui n’est comprise par personne, où on ne voit pas les candidats, trop anonymes, où on ne les entend pas, comme l’a confirmé déjà le premier tour ? Comme peut-on appeler une élection où on a affaire à des candidats éloignés, communiquant par tracts, sans débat contradictoire, où les électeurs sont juste appelés le jour du vote à ratifier un acte déjà conçu, comme si on allait chercher un papier administratif d’une administration dans l’anonymat absolu, ou d’y aller pour faire des copies conformes ou des légalisations de signature ? On pourra l’appeler une élection de type administratif.
D’ordinaire, on a affaire à deux types d’élections : ou des élections éminemment politiques, comme les présidentielles et les législatives, qui sont des élections nationales ; ou des élections municipales, qui sont des élections locales, plus ou moins politisées. Mais d’élections desquelles le politique en est manifestement absent, conduites de manière unilatérale par le pouvoir politique, qui décide seul de tout, du timing, de l’éligibilité, du type de candidature, du type de campagne, du type de vote, on n’en a jamais vu. Le pouvoir prend les citoyens d’en haut. Il se comporte comme une autorité administrative hiérarchique à laquelle on doit obéissance.
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Une élection de type administratif est alors une élection absolument non politique, neutre, comme les tâches d’exécution de service public, propulsée de manière unilatérale, verticale et hiérarchisée. En somme une élection bureaucratique et anonyme. Le citoyen électeur n’a d’autre choix que d’obtempérer aux profils anonymes, feutrés, sans compétences spéciales requises, qui lui sont proposés directement ou indirectement d’autorité.
Une élection de type administratif est aussi une non-élection, sans débat contradictoire, sans adversité, sans visions et idéaux, propres à éclairer les questions pratiques elles-mêmes qui peuvent être soulevées. Cette élection est destinée à des citoyens introuvables qui ne se sentent pas concernés par ce type de mépris électoral, par cette paradoxale pratique de l’abstrait ou abstraction pratique.
Une élection de type administratif n’est pas une élection destinée à des électeurs mûrs, impliqués par les affaires de la Cité, mais une élection conçue, produite, réalisée et mise en scène au bénéfice d’un seul homme, Kais Saïed, dont les certitudes laissent tout le monde sceptique, pour ne pas dire dans le désarroi total.