Un gouvernement avec ou sans quotas partisans

 Un gouvernement avec ou sans quotas partisans

Le Premier ministre tunisien


 


Hatem M’rad


Professeur de science politique


 


On sait qu’un gouvernement d’union nationale survient généralement à la suite d’une guerre, une révolution ou une grave crise politique, économique ou sociale. C’est à la suite de tels moments de bouleversements, de déchirements et de divisions que le pays a besoin de retrouver son unité, pour ne pas dire sa sérénité, et les forces politiques leur union. La transition politique elle-même, survenant après de tels bouleversements, comme celle de la Tunisie, exige aussi de telles unions. Le problème qui se pose alors est de savoir si un tel gouvernement, symbolisant l’union nationale, doit, pour être le plus consensuel possible et pour mériter l’appellation de « gouvernement d’union nationale », être composé de la plupart des partis représentatifs, petits, moyens et grands, et mêmes de quelques partis pesant sur la scène politique, quoique non représentés au parlement. Auquel cas, on appliquera le système des quotas entre les partis selon leur représentativité au parlement ou selon leur non représentativité (pour des partis historiques n’ayant pas de sièges).


 


A moins qu’on considère qu’un tel gouvernement n’a pas besoin d’appliquer le système des quotas entre ses membres, qui s’avère souvent impossible à mettre en œuvre totalement face à un grand nombre de partis ou au regard des enchères provoqués par des petits partis désireux d’obtenir coûte que coûte des portefeuilles ministériels pour prouver à l’opinion leur existence et leur utilité. Le problème se complique lorsqu’un tel gouvernement, pour éviter les demandes excessives des partis, décide de réduire sa composition à quelques départements essentiels ou de mettre en place des pôles ministériels regroupant plusieurs départements. Un super-ministre chapeautera alors plusieurs secrétaires d’Etat. Un choix favorable dans ce cas normalement aux grands partis.


 


Les neuf partis ayant signé « l’accord de Carthage » et authentifié le programme d’action qu’il comporte pour le nouveau gouvernement ont-ils de ce fait automatiquement le droit d’occuper des portefeuilles ministériels, en tenant compte de leur représentativité ? Les trois organisations syndicales et professionnelles se contenteront-elles alors, pour leur part, juste d’influer sur le processus et sur l’orientation politique du gouvernement dans la réalisation de son programme, puisqu’elles ne cherchent pas à y être représentées ? Houcine Abbassi l’a dit sans ambages : l’engagement de l’UGTT dans l’accord de Carthage « n’est pas un chèque en blanc » donné à ce gouvernement, même d’union nationale.


 


Il est certainement difficile, voire impossible de satisfaire tout le monde. C’est même évident. On peut penser que l’essentiel pour ces partis et forces sociales, et même pour l’opinion, c’est l’accord sur le programme d’action signé à Carthage. L’effet psychologique de l’accord a par lui-même un effet politique apaisant. Si on décide après les tractations en cours d’accorder des portefeuilles aux neuf partis, outre à des personnalités compétentes indépendantes, le chef de gouvernement Youssef Chahed sera probablement alors enclin, dans la mesure du possible, à tenir compte du système de quotas. Si tous les signataires ne parviennent pas, pour une raison ou une autre, à être membres du gouvernement, on ne tiendra probablement pas compte d’un système de quotas rigoureux. On se contentera de quelques partis représentatifs. Et on comblera le système par les compétences ou personnalités indépendantes.


 


Mais le problème, c’est que l’initiative du gouvernement d’union nationale, telle qu’elle était présentée par Essebsi, voulait parvenir à un consensus élargi, dépassant le cadre du gouvernement de coalition de Habib Essid. Autrement, un tel gouvernement n’aura plus de sens, si on arrivera juste à retrouver l’ancien gouvernement de coalition entre Nida, Ennahdha, UPL et Afek. Il aura même échoué à la base, le but n’ayant pas été atteint :la réalisation d’une union élargie. D’autant plus que ce gouvernement engage principalement l’autorité et la légitimité du président Essebsi. Il constitue en effet un autre test de la volonté fédératrice dont il a toujours fait preuve jusqu’à maintenant devant une situation de stagnation politique et gouvernementale.


 


Essebsi a certainement en tant que chef de la majorité nidéiste des priorités politiques dans ce gouvernement de Youssef Chahed. Au premier étage, sa priorité est le maintien de l’alliance conjoncturelle avec Ennahdha, garante de l’exercice du pouvoir et de la stabilité gouvernementale, voire de l’Etat. Au deuxième étage, l’idée de ce gouvernement s’explique par l’élargissement de la coalition précédente aux forces sociales, c’est-à-dire aux trois organisations syndicales, garantes cette fois-ci de la stabilité sociale. Au troisième étage, on retrouve l’élargissement de l’union aux cinq autres nouveaux partis signataires de l’accord de Carthage, garants de l’élargissement du consensus, à supposer qu’ils soient tous d’accord sur la désignation du chef de gouvernement Youssef Chahed par le président Essebsi seul, et qu’ils restent unis à l’épreuve de l’action gouvernementale la méthode de réalisation des priorités elles-mêmes.


 


Reste à savoir comment va-t-on concevoir et réaliser le système des quotas, nécessaire à ce gouvernement d’union nationale. Il faut dire qu’un gouvernement d’union nationale sans un système de quotas, ou sans un minimum de quotas n’a aucun sens. Ce sont les partis qui se coalisent ou qui s’unissent pour faire un gouvernement de consensus. Le consensus dont il s’agit est un consensus politique, qui doit être représenté politiquement. On ne va tout de même pas faire un tel gouvernement d’union nationale avec des personnalitésindépendantes, même si ces dernières représentent à leur manière ou complètent l’union nationale en incarnant la société civile ou l’opinion. Ce sont les partis qui sont capables, par leur représentativité et forces politiques, de constituer un gouvernement d’union. Autrement, il vaudrait mieux faire un gouvernement de technocrates ou de compétences, comme celui qui a été constitué autour de Mehdi Jomaâ à la suite du Dialogue national, et qui avait un autre objectif : l’organisation d’élections démocratiques de manière impartiale. On n’en est plus là.


 


Le bon sens consiste à n’abuser ni des quotas, ni des personnalités indépendantes pour que l’ensemble soit cohérent et pour satisfaire tant les partis, les organisations syndicales que l’opinion.


 


Hatem M’rad