Point de vue – Tunisie. Rapport du CRLDHT : « le retour de la répression »
Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) vient de publier un rapport d’information faisant le bilan de la dérive autoritaire en Tunisie du 25 juillet jusqu’à aujourd’hui.
Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), créé en 1997 sous la féroce dictature de Ben Ali, entre aujourd’hui dans une nouvelle phase de son existence, qu’il appelle lui-même « redéploiement ». Etape qui va lui permettre, à la faveur des nouvelles ressources humaines, matérielles et financières dont il dispose, d’exploiter sur le terrain de l’information et de la communication, les bases de son plaidoyer, nécessaire à la solidarité, face à la situation dramatique de la situation de la Tunisie d’aujourd’hui. « Redéploiement » d’abord au niveau de ses rangs pour renouveler les forces vives de ses membres associés en rapport avec les générations montantes ; « redéploiement » ensuite sur le plan des outils, pour tirer le meilleur parti des techniques numériques et des réseaux sociaux (p.42). Le Comité a, il est vrai, déjà réactivé à la suite du Printemps arabe ses réseaux de solidarité régionaux, européens, internationaux pour dénoncer le recours à la torture, les violations des droits de l’homme, l’accaparement du pouvoir, la corruption des dirigeants. Les dénonciations ne sont pas nouvelles.
Le CRLDHT vient de publier son dernier Rapport intitulé « Le retour à la répression », qui a pour objectif de « décrire de façon synthétique la répression menée sur plusieurs fronts par le président Saïed et des services de l’Etat désormais à sa botte » : appareil policier immunisé, magistrature assujetti, mépris du droit. « Le but est de broyer toute opposition et de réduire les îlots de résistance à son autoritarisme moyennant l’instauration d’un climat de peur digne de la triste période d’avant la révolution de 2011 » (p.3). Il s’agit en fait d’un Rapport de type informatif, éclairant les pratiques autoritaires du jour, en en faisant leur bilan depuis le 25 juillet 2021.
Le Rapport a été confectionné à partir des activités de la société civile (Alliance Sécurité Liberté/ Bawsala, Avocats sans frontières, FTDS, Jamaity, LTDH, Mobdi’un, Organisation mondiale contre la torture (OMCT), Psychologues du Monde Tunisie), de la documentation sur les violations des droits humains établi par les ONG qui observent quotidiennement la situation tunisienne (Amnesty, Human Right Watch, Fédération Internationale des ligues des droits de l’homme, Commission internationale des juristes, Reporters sans frontières, Article 19, SNJT, ATFD, I Watch, Damj, ADLI, Intersection) de quelques médias cités qui jouissent encore d’une certaine liberté (KashfTV, Nawaat, Al Katiba, Inkyfada, Rassd, Le Maghreb, Le Courrier de l’Atlas, jeune Afrique, Business News, Kapitalis, Tunisie Numérique), ainsi que des témoignages directs recueillis auprès des familles des personnes persécutées et de leurs avocats.
L’objectif du rapport est d’informer le plus objectivement possible sur la situation qui prévaut actuellement dans le pays qui, en 2011, a déclenché le « printemps arabe », afin de « déconstruire le discours officiel qui veut faire passer son action destructrice et restauratrice d’un ordre autoritaire ancien pour une action rectificative et réparatrice de la prétendue « décennie noire » de la transition démocratique », et de rappeler que « l’heure de vérité » a sonné pour ceux qui se réclament des droits de l’homme, de la liberté et des valeurs démocratiques dont la solidarité est requise pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel authentique.
Après avoir établi une chronologie de la dérive autoritaire depuis le 25 juillet 2021, le Rapport rappelle le cadre juridique des atteintes aux libertés, constitué par quatre éléments : le décret du 26 janvier 1978 sur l’état d’urgence, prorogé régulièrement et qui donne des pouvoirs étendus au ministre de l’intérieur pour perquisitionner les domiciles de jour comme de nuit et pour assigner à résidence ; le décret du 13 septembre 2022 relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication et à la propagation de « fausses nouvelles » ; l’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent (garde à vue de 15 jours, présence d’avocat au bout de 48h, détention provisoire jusqu’à 14 mois, protection des « informateurs ») ; et enfin le code pénal, notamment les dispositions relatives à la sureté de l’Etat et à l’atteinte à un fonctionnaire public.
C’est sur ces bases qu’on a évoqué le « complot des opposants », « une affaire cousue de fil blanc » (p.8 et ss.), avec des chefs d’accusation « extravagants », d’après le Rapport, ciblant des personnalités de différents horizons politiques désireuses à travers le dialogue de trouver une sortie de crise, pacifique et démocratique et s’opposant à l’instauration d’une nouvelle dictature en Tunisie. Le rapport procède à la situation de toutes les personnes en détention, une par une, en évoquant leurs situations personnelles au regard de cette affaire et en faisant l’historique de leurs cas (hommes politiques, activistes militants, avocats, les juges arrêtés, journalistes, syndicalistes), tout en évoquant l’ensemble des affaires montées sur pièce depuis le début de la dérive, et elles sont plusieurs (Affaire Balti ou des « 25 » en novembre 2022, différentes affaires des islamistes, affaire dite de l’aéroport, affaire du 18 juillet 2022, différents affaires d’outrage au président de la République, corruption financière, blanchiment d’argent, diffusion de fausses nouvelles. Il s’agit souvent d’« un mélange d’accusations et de règlements de compte », sans oublier les activistes, « cibles de l’esprit revanchard des forces de police ».
Le Rapport évoque également les différentes protestations de la population (p.37 et ss.), comme « Manish Msabb (décharge d’El Gonna à Agareb, près de Sfax), différentes manifestations devant le théâtre de Tunis, des travailleuses agricoles de Jbeniana, Sidi Bouzid et Kairouan en octobre 2022, des habitants de Zarzis en novembre 2022, des travailleurs des « chantiers publics » à la place Al Kasbah, des protestations des habitants de Behirine de mars 2023, dans les stades, toutes réprimées violemment par la police. Sont évoqués également les cas de mauvais traitements des migrants subsahariens, tels le racisme (discours du président et actes de citoyens tunisiens) et la négrophobie (p.39). Quant à la répression à l’égard de la communauté LGBTQI+ (p.40 et ss.), elle a redoublé en mai et juin 2022 avec plus de 59 procès en deux mois, sur la base d’articles criminalisant les genres. En mars 2023, plus de 16 personnes transgenres ont été arrêtées.
En « Annexe » du Rapport, on trouve une pétition signée par des universitaires pour la libération des détenu(e) politiques et d’opinion du 8 juin 2023 ; une Résolution du Parlement européen du 16 mars 2023 sur les récentes atteintes à la liberté d’expression et d’association et attaques contre les syndicats en Tunisie, en particulier le cas du journaliste Noureddine Boutar ; une Déclaration du Haut-commissaire des NU aux droits de l’homme appelant les autorités tunisiennes à cesser de restreindre la liberté des médias et de criminaliser le journalisme indépendant et des « Extraits » de l’Accord d’association entre la Communauté européenne et ses Etats membres et la Tunisie, signé en 1995 et en vigueur, dans lequel sont mentionnées des dispositions définissant les obligations de l’Etat tunisien en matière de respect des droits de l’homme, des principes démocratiques, de dialogue politique, et qui constituent un élément essentiel de l’accord.
> A lire aussi :