Proposer aux collégiens et adolescents des livres de leur époque

 Proposer aux collégiens et adolescents des livres de leur époque


 


Hatem M'rad


Professeur de science politique


 


Le réformateur Mohamed Charfi, ministre de l’Education et professeur de droit, a pris prétexte en 1991 d’une réforme de l’éducation pour décider une réfection des manuels scolaires, qu’il a trouvé remplis d’archaïsmes, de préjugés et de connotations religieuses. Cette réforme visait à dé-islamiser, rationaliser,  libéraliser et à moderniser le contenu de l’enseignement. Il disait, une fois la réforme faite, qu’en Tunisie, « nous enseignons maintenant non seulement Voltaire, Rousseau ou Montesquieu, mais aussi les théories de Darwin ou du big bang. Tout ce que la science a démontré est enseigné sans aucune crainte. Les jeunes Tunisiens ont tout ce qu’il faut pour être en même temps musulmans et modernes ».


 


Force est de reconnaître qu’aujourd’hui, cela n’a pas suffi à moderniser et à rationaliser nos jeunes, adolescents et préadolescents, ni à les adapter à la vie moderne. L’école est toujours un mythe qui propose un monde mythique. Les livres, manuels, contes qu’on propose aux jeunes adolescents, dans les matières littéraires bien sûr, continuent à véhiculer certains archaïsmes et anachronismes, qui font encore sursauter les parents qui veillent à l’éducation de leurs enfants. Certains préjugés ont la dent dure, sur la religion,  les femmes, les mythes, sur la gloire prosaïque de l’islam, malgré toutes les réformes enregistrées à ce jour. Pire encore, à supposer même qu’on arrive à décrasser certains livres scolaires et contes, on offre encore à nos jeunes, comme toujours, des histoires hors du temps, inadaptées à l’époque, voire ennuyeuses. D’ailleurs parents, enseignants et élèves collégiens reconnaissent tous que les livres et contes qu’on leur donne à lire, notamment en arabe, sont ennuyeux, inadaptés à l’époque moderne. C’est la preuve par les élèves eux-mêmes.


 


On s'étonne encore que nos préadolescents collégiens, ou nos adolescents, ne s'intéressent pas beaucoup à la lecture des livres et contes en arabe. Il est vrai que les moyens de communication modernes ont pris le pas sur le livre dans la curiosité des collégiens. Mais, il faut l’admettre: les livres et contes en langue arabe pour cette tranche d’âge n'ont pas évolué d’un iota à ce jour. Nos enfants sont ennuyés par les contes, les romans, livres et histoires qu’on leur propose. On leur propose surtout, à part quelques exceptions, des livres qui n'encouragent pas toujours à la lecture, traitant de choses anachroniques, passéistes, relatant des mode de vie traditionnels ancestraux. Choses qui n'ont plus aucune emprise sur leur présent. C’est par exemple l'histoire des éternelles princesses, des femmes qui papotent en faisant la lessive au bord de la rivière, ou de celles qui remplissent leurs cruches à un km de chez elles, ou qui utilisent le pilon. C’est encore l’histoire de l’élève pauvre qui fait ses devoirs à la lumière d'une bougie, une manière de traiter de l’héroïsme scolaire ou d’encourager la réussite de manière maladroite. Toutes des histoires que les adolescents n'imaginent et ne conçoivent même pas, parce que ne rentrant pas dans leurs préoccupations actuelles, notamment à l’ère d’internet, des portables, du numérique, des micro-ondes, voire de la mondialisation.


 


Les Occidentaux ont bien compris la leçon. Leurs pédagogues, livres, romans et contes essayent de parler le même langage que les collégiens en vue de toucher à leurs points sensibles. Ils ont adapté le contenu des histoires proposées dans les livres pour adolescents à la réalité d'aujourd'hui, en leur parlant de choses que les jeunes vivent et apprécient réellement. Regardez les livres scolaires des Anglais et des Américains, et vous aurez un indice sur le degré de réalisme, de pragmatisme, sur les techniques et les pédagogies appropriées. On cherche à pousser les enfants à s’adapter à leur époque. On leur apprend à être déjà adulte, à s’intégrer dans la société, tant il est vrai que l’école et les collèges sont censés éviter la marginalité sociale.


 


Les livres qu’ils proposent aux collégiens, préadolescents, et adolescents, parlent par exemple de la réussite de Amancio Ortega, l’entrepreneur espagnol qui a crée les chaînes de magasins Zara, de facebook de Zuckelberg, des victoires de Manchester United, de Dennis Berkamp, le footballeur qui a toujours peur de prendre l’avion, de l’histoire de la chanson “Imagine” de John Lennon, tirée d’un poème de Yoko Ono son épouse, des curiosités touristiques des différents pays, des différentes manières d’aborder ou de draguer des filles dans les lieux publics, du comportement à tenir dans une soirée. On leur parle des inventeurs modernes pratiques, des inventions contemporaines réalisées par des femmes, comme les couches culottes, le lave-vaisselle, les bas-nylons, le blanco, le gilet pare-balle. Des choses censées attirer leurs attentions. On leur dit que JK Rowling a écrit son premier Harry Potter dans un café, car étant en chômage, elle n’avait pas les moyens d’avoir un chauffage central chez elle, elle préférait écrire dans un café bien chaud. Des histoires que les jeunes adorent, mais qui font aussi leur vie de tous les jours.


 


Les pédagogues, écrivains et conteurs en langue arabe pour collégiens et enfants, devraient se mettre à écrire des histoires, réelles ou fictives, inspirées de la réalité d’aujourd’hui, pour les jeunes tunisiens et arabes d’aujourd’hui, pour que ces derniers puissent s’adapter au monde qui les entoure. Il faudrait leur parler d’histoires de chanteurs de leurs époques, de ceux qu’ils aiment, des rappeurs comme Balti, Hamzaoui ou Kafon, des histoires de réussites tunisiennes et arabes dans le monde, de la manière désastreuse de conduire les voitures dans nos routes (avec des blagues), des nouveaux nés tunisiens à qui on donne de plus en plus des prénoms turcs, inspirés des feuilletons turcs, des indiscrétions pathologiques des Tunisiens quand ils parlent tout haut avec leurs portables d’histoire d’argent ou quand ils se disputent avec leurs femmes à haute voix dans un café, au beau milieu du public.


 


Parlez dans les livres des défauts des Tunisiens et des Arabes, même de manière outrancière, jusqu’à la caricature. Le rire est une bonne recette pédagogique. Cessons de dramatiser, de parler de choses sérieuses ou glorieuses d’un passé perdu à jamais, comme si on était le nombril du monde. Soyons vrais avec les jeunes. Arrêtons d’idéaliser l’islam ou l’arabité, qui ne sont plus glorieux du tout. L’enfant ne deviendra pas inventif par la religiosité maladive ou par l’idéalisation de l’arabité. Choses qui le rendent plutôt passif, obéissant et fataliste. L’enfant arabe apprend encore le machisme, la discrimination, l’irréalisme, l’indélicatesse, l’abstraction inutile, dans les mythes propagés par  l’école et par les conteurs. Pourquoi les peuples arabes ne sont pas doués dans les disciplines artistiques ? L’école et nos livres ont-ils des réponses ?


 


A quoi ça sert une pédagogie, un livre, un conte, un manuel scolaire, un roman, s’ils ne passent pas auprès de leurs destinataires, s’ils ne portent pas sur la vie de tous les jours? Si l’offre d’histoires, de livres, de manuels n’intéressent pas les enfants, ils risquent de sécher les cours, de faire l’école buissonnière, de détester leurs maîtres et professeurs, et même l’école. C’est hélas déjà le cas. Demandez-le aux enfants. L’école, le collège ou même le lycée ne représentent  pas la vie, ni la gaieté dans le monde arabe, mais une contrainte fastidieuse. Les jihadistes sont certainement passés par là. Ce n’est pas l’école qui importe, c’est son contenu.


Hatem M’rad