Tunisie – Partis monarchistes en République

 Tunisie – Partis monarchistes en République

Armoiries des Beys de Tunisie : Ahmad II


En interdisant aux partis politiques de toucher au principe de la République dans leurs principes ou programmes, la Constitution tunisienne, n’a pas pour autant réglé la question des partis monarchistes ou royalistes qui, en démocratie, ont droit de cité, au même titre que les partis républicains. Que certains monarchistes préfèrent militer en dehors des partis, en raison du caractère arbitral, impartial et non partisan de la Couronne, importe peu. On le sait, le monarque, incarnant l’unité nationale, est conduit à être au-dessus des partis. Mais, peut-on faire de la politique ou entrer en compétition pour le pouvoir en démocratie en dehors des partis ? On en doute. Certains partis militent pour accéder à la République, d’autres pour tenter de restaurer la monarchie. La démocratie est seule juge de la partie.


Les partis royalistes existent bel et bien dans les Républiques démocratiques. Ce sont des partis qui visent à instaurer ou à réinstaurer une monarchie dans l’Etat. Ils existent dans des Etats républicains comme la France (Action Française, Alliance Royale ), l’Italie (Union Monarchiste Italienne, Parti National Monarchiste), l’Autriche (Alliance Noire-Jaune), l’Allemagne (Parti National du Peuple allemand, dissout par Hitler). Les partis monarchistes existent même dans les théocraties, ou presque, comme c’est le cas de Rastakhiz (Résurrection) en Iran, qui reste surtout actif en exil. Certains de ces partis participent aux élections, d’autres non.


Inversement, il existe des partis républicains qui veulent restaurer la République dans les monarchies. Un parti républicain (et d’illustres républicains) a existé en France sous la monarchie de Juillet au XIXe siècle. Le « républicanisme » est un courant qui existe encore au Royaume-Uni. Il s’agit d’un mouvement politique qui vise à abolir la monarchie britannique (qui pourtant est populaire), afin de la remplacer par une République à la tête de laquelle les chefs d'État ne se succéderaient plus de façon héréditaire. Au XIXe siècle, les républicains étaient poursuivis en Grande-Bretagne pour Treason Felony Act (loi sur la Haute trahison.). Mais en 2003,on a considéré que cette loi  doit être interprétée de façon compatible avec le Human Rights Act, et ne peut donc plus être opposée à une activité républicaine paisible. Le principe républicain constitue encore le moteur d’action des Catalans dans la monarchie espagnole et justifie même leur volonté séparatiste.


Au fond, République ou monarchie, ce qui compte c’est davantage la chose publique que la nature du régime politique ou l’ordre constitutionnel. Une monarchie peut être vertueuse ou empreinte d’esprit républicain, alors qu’une République peut s’épuiser dans la corruption, l’esprit sectaire et partisan. Dans les pays républicains, on a tendance à considérer la monarchie comme l’antithèse de la modernité et la République comme l’incarnation du progrès et de l’esprit du temps. La monarchie, c’est vieillot, désuet et quasi-folklorique: sacres, carrosses, couronnes. Cela, c’est bien sûr la propagande républicaine. On ne peut pas dire que la Grande-Bretagne, Andorre, la Belgique, le Danemark, le Liechtenstein, le Luxembourg, Monaco, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, la Suède sont des pays anti-démocratiques, parce qu’ils sont monarchiques. Loin s’en faut. Ces monarchies comptent parmi les plus démocratiques de la planète, sinon les plus prospères.


De toutes les manières, la personnalisation du pouvoir est devenue telle dans les Républiques post-monarchiques que l’interdiction du monarchisme est devenue, outre une injustice, une pure hypocrisie. Bourguiba et Ben Ali ont été des monarques républicains qui exerçaient un pouvoir sans commune mesure avec celui des Beys ou des monarques absolus occidentaux ou arabes. Présidence à vie pour l’un, présidence policière pour l’autre. C’étaient « des Républiques déguisées en monarchie », selon l’éloquente expression de Thiers. D’autres acteurs politiques semblent préparer encore aujourd’hui dans la transition tunisienne une succession héréditaire. Si les Beys étaient sanctionnés pour leur gestion maladroite des deniers publics, alors que dire des malversations, dilapidations de Ben Ali et de sa « cour » ou du pompage du trésor public dans la transition par les partis islamistes et laïcs et la cupidité de leurs « cours ».


Si cette interdiction constitutionnelle de toucher au principe républicain était instaurée par Bourguiba juste pour sanctionner la monarchie husseinite ou mettre définitivement fin à sa restauration, et surtout pour justifier la domination politique implacable du zaïm, elle n’est plus de mise aujourd’hui dans un système épousant les valeurs démocratiques, dans lequel le courant monarchiste est un courant comme un autre, exprimant une opinion comme une autre. Je rappelle que c’est la monarchie anglaise qui a crée le régime parlementaire adopté aujourd’hui avec empressement par les Républicains et les théocrates tunisiens. Le régime parlementaire tunisien de 2014, grossièrement compris par les constituants islamistes, imposé par eux, et malmené par tous les partis, était historiquement un régime adapté principalement aux monarchies. Il rendait possible le constitutionnalisme du pouvoir monarchique et le développement des libertés. Il limitait le pouvoir du monarque absolu et le mettait au-dessus des partis, en lui conférant un rôle arbitral que n’a pas le pouvoir républicain, trop impliqué dans la bataille politique majorité/opposition.


Sur sa lancée, en abolissant la monarchie beylicale, Bourguiba a voulu démolir un pan entier de l’histoire en interdisant toute référence aux Beys, en poussant les membres de leurs familles à changer de nom, en dépouillant leur trésor, en démolissant leurs palais, ou en les laissant tomber en ruine, et en interdisant toute violation de la République dans la Constitution. Alors même que les Républiques européennes sont fières d’exhiber leur passé monarchique, d’exposer et d’entretenir les palais des monarques (Versailles, Tuileries et autres) ou de donner à la monarchie la place qu’elle mérite dans la culture et l’histoire politique. Un pays ne devrait pas déclasser son histoire sous prétexte de déclasser un régime politique. Les hommes respirent leur histoire à chaque coin de rue.


Si cette interdiction de toucher au principe républicain est voulue aujourd’hui plutôt pour écarter les intentions islamistes en faveur du califat, ce n’est plus un obstacle majeur. La Constitution et la loi sur les partis politiques pourraient toujours se borner à dire que les partis, relevant du domaine civil et non religieux, sont tenus de respecter les règles, institutions et valeurs démocratiques et civiles adoptées dans la Constitution, sans aborder pour autant de front la question républicaine, devenue superflue. On aurait évacué une injustice inutile et renforcé du coup la démocratie.


Ainsi, un parti royaliste ou husseinite n’est pas une ambiguïté politique ou une curiosité historique dans la IIe République démocratique tunisienne, parmi 209 partis, aussi insignifiants les uns que les autres, à quelques rares exceptions. Il en est la suite logique. Un tel parti aurait au moins, lui, le mérite de représenter un courant historique face aux courants artificiels. On ne le répétera jamais assez, ce n’est plus la République qui constitue aujourd’hui un rempart infranchissable contre les abus, laïcs ou religieux, c’est plutôt la démocratie. Les « Lignes directrices sur la réglementation des partis politiques » adoptées en commun par l’OSCE, la BIDDH et la Commission de Venise le 15-16 octobre 2010 recommandent de ne pas restreindre les droits et libertés des partis, sauf en cas de nécessité. On y lit notamment que : « l’interdiction de la création d’un nouveau parti politique est la sanction la plus extrême et ne devrait être imposée que si cette mesure est proportionnée et nécessaire dans une société démocratique », ou encore, dans les Notes interprétatives de ce Document, que « La loi ne devrait pas interdire à un parti politique de prôner un changement à l’ordre constitutionnel de l’Etat », ou encore que « le devoir de l’Etat de protéger la liberté d’association des partis politiques s’étend au cas où un parti épouse des idées impopulaires », pourvu qu’il soit démocratique, qu’il rejette l’usage de la violence, qu’il ne propage pas la haine ou la discrimination et qu’il n’attente pas à la sureté de l’Etat.


Que les partis monarchistes existent ou n’existent pas, que leurs partisans demandent ou ne demandent pas à se constituer en partis, ce droit devrait leur être reconnu  en démocratie. La réglementation des partis politiques ne devrait pas établir des interdictions et des discriminations à l’égard de certains courants politiques acceptant tous, au même titre, la démocratie. La Constitution (article 1er) et le décret-loi de 2011 organisant les partis politiques (article 3), ont tort d’interdire les partis se reconnaissant de la monarchie au nom de la République.


Hatem M'rad